Ciencia Política
1909-230X
Universidad Nacional de Colombia
https://doi.org/10.15446/cp.v13n26.68036

Recibido: 29 de septiembre de 2017; Aceptado: 19 de abril de 2018

Vers des fondements de la rationalité complexe pour l’analyse de la politique publique : les avatars du processus décisionnel

Hacia los fundamentos de la racionalidad compleja para el análisis de las políticas públicas: los avatares del proceso de toma de decisiones

L. Mballa, 1

Universidad Autónoma de San Luis Potosí, Guadalajara, México luigivaldo@hotmail.com Universidad Autónoma de San Luís Potosí Universidad Autónoma de San Luis Potosí Guadalajara Mexico

Est licencié en sciences économiques et gestion appliquée à l'université de Douala, Cameroun; licencié en philosophie à l'Institut de philosophie Saint-Joseph-Mukasa, Cameroun; Master en Relations Internationales et Docteur en sciences politiques à l'université nationale autonome du Mexique (UNAM); membre de l'Assocition Mexicaine des Études Internationales (AMEI); secrétaire exécutif du réseau international de chercheurs en sciences de la gestión (REINICIG); actuellement professeur et chercheur à plein tempos à l'université autonome de San Luis Potosí, faculté de comptabilité et administration, et coordinateur du Master en Gestion publique.

Résumé

L’objectif de cet article est de scruter les rationalités inhérentes dans le cycle des politiques publiques, afin de pouvoir poser les fondations d’une approche de la rationalité complexe. Pour étayer ce cheminement, nous nous sommes appuyés sur une méthode analytique-synthétique à travers laquelle nous avons défini les unités d’analyse des politiques publiques. En ce sens, l’innovation, l’originalité et la pertinence scientifique de cet article résident sur le fait qu’une approche systémique des politiques publiques facilite et renforce le travail interinstitutionnel ; surtout, entre les secteurs public et privé. Ceci, sans aucun doute, contribue à apprécier les impacts des politiques publiques dans la vie quotidienne des citoyens.

Mots-clés :

Complexité, rationalité complexe, problèmes publics, politiques publiques, unités d’analyse.

Resumen

El objetivo de este artículo es examinar las racionalidades inherentes al ciclo de las políticas públicas, con el fin de sentar las bases de un enfoque de la racionalidad compleja. Para alcanzar este objetivo, nos apoyamos en un método analítico-sintético a través del cual definimos las unidades de análisis de las políticas públicas. En este sentido, la innovación, la originalidad y la pertinencia científica de este artículo residen en el hecho de que un enfoque sistémico de las políticas públicas facilita y fortalece el trabajo interinstitucional; especialmente, entre los sectores público y privado. Esto, sin duda, ayuda a apreciar los impactos de las políticas públicas en la vida cotidiana de los ciudadanos.

Palabras clave:

complejidad, racionalidad compleja, problemas públicos, políticas públicas, unidades de análisis.

Introduction

La politique publique est généralement définie comme l’ensemble des réponses du Gouvernement face à une situation problématique à laquelle fait face la société ; c’est dire qu’elle « constitue une facette centrale de l’activité des gouvernements, que ce soit pour distribuer des revenus, collecter des impôts, conduire une politique extérieure, assurer la sécurité des citoyens, communiquer sur l’action gouvernementale, inciter les acteurs privés ou réguler l’action administrative » (Maillard et Kübler, 2015, p. 17).

Dans le cadre de cet article, nous utiliserons indifféremment ce concept aussi bien au singulier qu’au pluriel. En effet, les politiques publiques constituent le cordon ombilical entre les citoyens et le Gouvernement ; c’est-à-dire, la première opportunité pour les barons de la prise des décisions, de proposer des solutions immédiates aux besoins des citoyens. En ce sens, cet article de caractère essentiellement académique, expose les logiques sous-jacentes dans le cycle des politiques publiques, à travers un raisonnement logique et théorico-conceptuel. Ainsi, la détermination des principales unités d’analyse des politiques publiques nous plonge dans la nature, les conditions et les rationalités sous-jacentes dans le système des politiques publiques.

En effet, les décisions du Gouvernement sont celles qui déterminent le cheminement des politiques publiques (Ibarra et Mballa, 2017, p. 33). Pour cela, l’exercice d’extrême complexité qui s’étale dans cet article permet non seulement de comprendre les potentialités et dysfonctionnements des politiques publiques actuelles, mais aussi de reformuler un cadre explicatif de la réalité sociopolitique, économique et administrative sur une base épistémologique. Ainsi, l’objectif de cet article est d’analyser, sur la base d’une perspective holistique, la rationalité des acteurs des politiques publiques ; ceci nous oblige à poser les fondations d’une approche systémique, comme plateforme théorique et méthodologique idéal pour l’analyse, la compréhension et l’application des politiques publiques. La théorie de la complexité dans ce cadre, permet justement de surmonter les limites des « approches dominantes » (approche séquentielle de la politique publique).

En effet, la théorie de la complexité a acquis un nouvel élan dans le domaine des politiques publiques au début des années 1990. Selon plusieurs auteurs, celle-ci est dotée d’un large éventail d’outils conceptuels, qui aident à expliquer, problématiser et relever les défis rencontrés dans les processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation des politiques publiques. (Özer et Şeker, 2013; Morçöl, 2012; Morçöl, 2010; Cairney, 2012). Sabatier (2010, p. 52) estime que le processus de fabrication d’une politique se produit, avant tout, parmi les spécialistes du domaine de cette politique, qui cherchent régulièrement à modifier quelque chose à l’intérieur d’un sous-système.

En ce sens, Innes et Booher (2010) considèrent que l’approche des politiques publiques à partir de la complexité met en lumière la manière dont la théorie est capable de questionner la pratique. De même, Graham Room (2015, pp. 19-20) soutient que la théorie de la complexité souscrit une transition de l’approche classique (modèle séquentiel) des politiques publiques, vers un équilibre où sont expliquées les interactions existantes entre une multitude d’acteurs. Cependant, Cairney et Geyer (2015, pp. 5-7) préviennent sur le fait que cette tendance serait pertinente si l’approche de la complexité aboutissait à des résultats concrets dans la mise en œuvre des politiques publiques ; cela implique une réconciliation entre la « pensée complexe » et les capacités institutionnelles des acteurs.

Colander et Kupers (2016, p. 17), pour leur part, décrivent comment les économistes, sous une approche essentiellement linéaire, caractérisée par des modélisations quantitatives, ont désapprouvé la théorie de la complexité dans le domaine des politiques publiques ; cependant, ces auteurs soutiennent que la théorie de la complexité oriente le rôle central du Gouvernement vers la recherche d’une éco-structure au sein de laquelle diverses formes d’entrepreneuriat social peuvent émerger et s’épanouir.

Toutes ces approches révèlent que la complexité n’est autre chose que la relation dialogique, interactive, conflictuelle, d’intérêts, d’hétérogénéité, de leadership et d’interdépendance entre les différents composants et moments essentiels, inhérents au processus d’élaboration des politiques publiques. Pour ce faire, deux interrogations orientent le présent manuscrit : (1) Quels sont les fondements et la pertinence d’une conception holistique (complexe) des politiques publiques ? (2) Quelles sont les logiques et les rationalités sous-jacentes (qui prévalent) dans le système (ou cycle) des politiques publiques ?

Une réponse approximative à ces interrogations qui constitue en même temps l’argument central de cet article est la suivante : les politiques publiques sont un ensemble de mécanismes qui obéissent à la logique des systèmes complexes, et dont la compréhension est possible à travers une conception holistique de chacune de ses unités d’analyse (analyse intra) d’une part ; d’autre part, à travers l’examen des interactions entre chacune de ces unités (analyse inter). Cette hypothèse marque les directrices, l’originalité et la pertinence scientifique de cet article. Pour pouvoir démontrer cette affirmation, il est essentiel, par le biais d’une méthode analytique-synthétique : (a) de concevoir la politique publique comme un système complexe ; (b) de définir ses unités d’analyse ; (c) de déconstruire et de reconstruire chacune d’elles sur la base de la connaissance (analyse intra) ; et (d) de d'examiner la relation dialogique qui existe entre elles (analyse inter).

En effet, l’analyse des politiques publiques aujourd’hui obéit à une rationalité et à des logiques circonstancielles dues à l’absence d’une solide approche théorique et méthodologique. C’est en ce sens que Knoepfel, Larrue, Varone et Savard (2015, p. 2) estiment qu’actuellement l’analyse des politiques publiques se limite à fournir des éléments de compréhension, voire de réponse à des interrogations fondamentales sur la légitimité, l’efficacité et la pérennité des actions publiques. Cette absence de fondements théoriques est agrémentée par un manque d’engagement multidimensionnel des barons de prise des décisions, en vue de la construction de l’agenda gouvernemental. C’est ainsi que la logique d’élaboration des politiques publiques se base sur une rationalité de court terme, marquée par la simplification des problèmes publics (rationalité incrémentale) ; cette logique de court terme n’est qu’une déviation méthodologique qui oriente la société vers la recherche des résultats de forme immédiate, oubliant que la complexité des problèmes publics requière des interventions et des visions intégrales de court, moyen et, surtout, de long terme.

Une chose doit être claire ici, et c’est une idée que nous partageons largement avec Rincón et Burgos (2003, p. 48): une politique publique ne peut être réduite et expliquée : (1) par la somme de ses propriétés ou la fonctionnalité de ses étapes ; (2) par la nature des processus produits par ses unités prises isolément ; (3) et surtout ne peut être conçue à travers des schémas fermés d’analyse de causalité. En revanche, une compréhension holistique d’une politique publique, exige à la fois, la connaissance de ses unités d’analyse (analyse intra), ainsi que la connaissance des relations qui existent entre celles-ci (analyse inter).1

Pour aborder cette problématique, à travers une méthode analytique-synthétique, nous avons déterminé les unités d’analyse des politiques publiques (les besoins des citoyens, les connaissances des acteurs du Gouvernement, le contexte sociopolitique et les variables du pouvoir et des intérêts). L’analyse inhérente à cette approche nous permet de conclure que la systématisation de la rationalité complexe consiste à réorganiser des idées et des logiques sous-jacentes dans le processus de construction des politiques publiques. Ceci n’est possible qu’en partant de l’hypothèse selon laquelle la relation dialogique et multidimensionnelle entre les acteurs des politiques publiques obéit aux principes des systèmes complexes.

1) Structure conceptuelle de la politique publique

Analyser la complexité qui est autour des politiques publiques consiste à « étudier les gouvernements en action » (Maillard et Kübler, 2015, p. 19). Ceci implique, d’une part, concevoir les politiques publiques comme système et, d’autre part, étudier les interactions entre les unités de ce système. Il s’agit en quelque sorte de conceptualiser la politique publique comme une structure holistique, comme un Tout, ayant une identité propre (autonomie). Sous cet angle, la politique publique cesse d’être uniquement l’aboutissement d’un processus décisionnel, étant donné qu’elle répond à un type de structure, potentialisée par l’initiative conjuguée de plusieurs acteurs. C’est certainement la complexité qui émane de la dynamique fonctionnelle de ces acteurs qui a poussé Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (2014, p. 7) à considérer qu’une politique publique est un phénomène social et une politique spécifique, empiriquement fondée et analytiquement construite ; c’est-à-dire, qu’en théorie c’est un objet relativement simple à définir et, en pratique, sa caractérisation est en soi un problème pour la recherche.

Sur la base des apports de ces différents auteurs, nous nous permettons de redéfinir les politiques publiques comme l’ensemble des décisions et des actions rationnelles du Gouvernement, qui permettent la résolution de divers problèmes d’intérêt public, soulevés par les besoins sociopolitiques et économiques des individus, des communautés et même des institutions. Cela signifie que les politiques publiques naissent d’une décision gouvernementale, afin d’aborder et de résoudre un problème public spécifique. Elaborée sur la base de cette définition, la figure suivante montre la structure conceptuelle des politiques publiques.

Structuration conceptuelle des politiques publiques

Figure 1: Structuration conceptuelle des politiques publiques

Note. Élaboration propre.

Sur cette figure, le sous-système de besoins représente l’écosystème où s’articulent les nécessités multidimensionnelles des citoyens. En effet, les besoins de la société proviennent généralement des carences individuelles ou collectives des personnes qui cherchent à élever leur niveau de vie. L’étude du niveau de satisfaction des besoins humains a fait l’objet de plusieurs recherches dont la plus connue est la Théorie des besoins humains, développée para le sociologue américain Abraham Maslow. La persistance des besoins de base conduit à un niveau de pauvreté, qui est lié à l’incapacité de générer des emplois, des services commercialisables et de l’infrastructure, qui permettent aux individus d’être en relation, économiquement parlant, avec d’autres acteurs (Mballa, 2017a, p. 104).

Dans ce cadre, les acteurs constituent l’ensemble d’agents impliqués dans tout le cycle. Les relations qu’entretiennent les politiques publiques avec les acteurs sont complexes et de nature fort différente selon les périodes et les lieux (Gabas, 2003, pp. 33-47). C’est la raison pour laquelle, Muller considère qu’actuellement la prise en compte de cette variable est fondamentale pour l’analyse des politiques publiques ; car, en effet, les acteurs constituent, plus que jamais, une variable indispensable pour comprendre les enjeux auxquels sont confrontés les sociétés contemporaines : multiplication des interventions publiques dans tous les domaines de la vie quotidienne, tentatives de réponses aux grands problèmes économiques ou environnementaux, les Gouvernements et les acteurs des politiques publiques sont écartelés entre des contraintes toujours plus fortes liées à la mondialisation et des demandes citoyennes de participation dans une politique renouvelée (Muller, 2018, p. 43). En ce sens, Melstner a estimé que les acteurs de la politique publique constituent un grand ensemble qui inclut les individus, les groupes d’intérêts, les institutions, des comités, des équipes bureaucratiques, des coalitions, le Gouvernement, les partis politiques, des agents publics et privés, et d’autres acteurs du contexte politique ; ces acteurs interfèrent d'une manière ou d'une autre, en vue de façonner le cycle des politiques publiques (Melstner, 1992, p. 12). Pour leur part, Santibáñez et d’autres auteurs (2012), classent les acteurs de la politique publique en deux sous-systèmes : les acteurs publics et les acteurs privés. Le sous-système des acteurs publics se compose essentiellement, entre autres, du Gouvernement, de l’administration publique, des partis politiques et des organisations internationales. Le sous-système des acteurs privés est essentiellement constitué d’entreprises privées, de groupes d’intérêt, de centres de recherche et des médias (Santibáñez et al, 2012, p. 4). En raison de la multiplicité d’acteurs qui interviennent dans le système de la politique publique, Subirats (2005, p. 24) souligne que leurs modalités d’interaction et d’interconnexion s’établissent en fonction de leurs préférences et intérêts, ce qui en fin de compte détermine la raison d’être et la qualité des politiques publiques.

Le Gouvernement, quel que soit le régime politique, est l’organisme chargé de la direction politique de l’État à travers l’exercice du pouvoir : c’est l’écosystème de la prise de décisions. Aussi, l’un des objectifs, entre autres, des Gouvernements à tous les niveaux (du moins dans la rhétorique) est précisément de prendre des décisions dont l’application peut aider la société en général, à satisfaire ses multiples besoins. En ce sens, lorsque le gouvernement décide de prendre en compte un problème particulier, ce fait prend forme à partir d’une décision ou d’un ensemble de décisions, qui ne sont pas nécessairement exprimées à travers des actes officiels. Ainsi, un problème devient public quand il cesse d’être particulier et affecte négativement l’existence de toute une communauté, le bien-être social, l’environnement, l’harmonie sociopolitique, économique et culturelle. En outre, l’inclusion d'une situation problématique dans l’agenda du gouvernement pose les bases pour la formulation de la politique publique.

Les actions sont l’ensemble des réalisations qui permettent de dépasser les décisions du gouvernement en vue de leur exécution concrète dans la vie quotidienne des citoyens ; il s’agit ici de transformer la rationalité théorique dans un élément mesurable, utilisable et évaluable par la société. Ceci implique que, si les décisions sont le résultat de l’engagement politique et de l’exercice du pouvoir gouvernemental à l’égard des citoyens, les actions constituent l’apogée du contrat sociopolitique et économique entre la citoyenneté et les forces représentatives de l’État, c’est-à-dire, le Gouvernement. Ce que nous essayons d’exprimer ici c’est que les actions proviennent d’un processus de gestion des décisions du Gouvernement, par un groupe d’acteurs avec des capacités et de l’expertise. C’est à travers les actions que les agents du Gouvernement ouvrent leurs boîtes à outils, pour exécuter les stratégies, les ressources et les méthodes rationnellement conçues, afin de solutionner les problèmes publics.

Toutefois, les actions promues par les administrateurs des décisions gouvernementales seraient dénuées de sens, si elles ne se traduisent pas réellement en solutions des problèmes publics. En ce sens, la solution implique ipso facto la satisfaction d’une préoccupation, d’un besoin, d’un problème, dans d’autres mots, d’un problème public. Ce panorama composé de différents acteurs, ayant des ressources dissemblables, des positions différentes, provenant d’horizons divers, avec l’intention de répondre aux exigences de la société, nous montre que la politique publique doit être conçue comme un scénario très complexe qui dépasse le simple fait de prendre de bonnes ou de mauvaises décisions.

Évidemment, comme on l’indique dans la Figure 1, les politiques publiques orientées vers la résolution des problèmes publics auraient un triple impact : le premier sur la redéfinition du sous-système des besoins sociaux ; le second sur le Gouvernement lui-même ; et le troisième sur la restructuration du sous-système des problèmes publics. Cela signifie que les politiques publiques ne sont pas des mécanismes ambigus, sinon que mettent en exergue certaines orientations et des styles du gouvernement, reflétant ainsi : (1) quels types de problèmes sont privilégiés ; (2) quels sont ceux qui restent exclus de l’agenda du gouvernement ; (3) quelle conception de « l’administration des décisions » prévaut dans le gouvernement ; (4) quels types d’interventions et de méthodes sont proposées pour résoudre les problèmes publics, afin d’établir un nouveau contrat social entre les citoyens et le Gouvernement.

Cette approche conceptuelle nous a, sans aucun doute, permis d’amorcer une trajectoire pour répondre à nos interrogations : Quels sont les fondements et la pertinence d’une conception holistique (complexe) des politiques publiques ? Quelles sont les logiques et les rationalités sous-jacentes (qui prévalent) dans le système (ou cycle) des politiques publiques ? Pour étayer ce cheminement, nous nous appuyons sur la méthode analytique-synthétique à travers laquelle, nous définissons les unités d’analyse des politiques publiques.

2) Origine et caractéristiques de l’approche séquentielle et détermination des unités d’analyse des politiques publiques

L’analyse séquentielle ne constitue pas à proprement parler un concept ou une théorie formalisée de l’action publique, mais plutôt une méthode d’analyse des politiques publiques. Cette approche se présente comme un cadre d’analyse fondé sur le principe du séquençage, c’est-à-dire, une grille organisée en séquences d’action, permettant de diviser un processus politique (Jacquot, 2010, pp. 82-90). Harrold Lasswell a commencé à promouvoir l’étude des politiques publiques à partir de deux perspectives : la première sur « la connaissance en » politiques publiques, orientée vers les méthodes et les compétences en matière de la prise de décisions ; la seconde sur la « connaissance des » politiques publiques, liée à la démocratie et à la résolution des problèmes sociaux (Lasswell, 1951, p. 21).

Selon Salazar (1994, p. 67), les politiques publiques sont des réponses successives du « régime politique » ou du « gouvernement » en place face à des situations socialement problématiques. Landau (2003, p. 154) soutient que les politiques publiques sont des processus rationnels, qui intègrent des données et des preuves « objectives », permettant de prendre de meilleures décisions pour résoudre des problèmes publics. Rincón et Burgos (2003, p. 42), pour leur part, considèrent que pour fonder les bases analytiques des politiques publiques, il est impératif en plus d’examiner les besoins qui peuvent être institutionnalisés, de scruter la relation systémique qui existe entre le contexte et l’approche séquentielle des politiques publiques.

Roth (2014, pp. 423-425), quant à lui, identifie quatre éléments essentiels pour l’analyse des politiques publiques : la perception des problèmes, la participation du Gouvernement, la définition des objectifs et les processus décisionnels. Ceci signifie qu’une politique publique est susceptible d’être adoptée, si et seulement si le Gouvernement, à travers ses institutions, assume partiel ou totalement la responsabilité d’atteindre un certain nombre d’objectifs de développement. Ces différentes approches, qui ont engendré la fameuse « approche séquentielle », sont condensées dans la figure suivante:

Approche séquentielle des politiques publiques

Figure 2: Approche séquentielle des politiques publiques

Note. Élaboration propre.

En fait, les contributions de ces auteurs qui ont influencé les théories du gouvernement et de public management de manière décisive exigent la nécessité de mettre en œuvre des processus de planification à travers des systèmes d’information de complexité variable et à partir desquels le Gouvernement prenne des décisions et établisse des stratégies lui permettant d’atteindre ses objectifs à travers la formulation des politiques publiques.

Pour confronter cette approche séquentielle, essentiellement linéaire et conceptuellement obsolète, nous considérons, depuis l’approche de la rationalité des acteurs, que « chaque politique publique est complexe ; sa compréhension ne peut être possible que grâce à une systématisation de ses unités d’analyse » (Mballa, 2017b, p. 65)2 Ces unités d’analyse (besoins, connaissances, contexte, pouvoir et intérêts) découlent précisément des convergences ou des points en communs entre les différents auteurs consultés. La Figure 3 représente cette structure systémique (unités d’analyse) des politiques publiques.

Structure systémique des politiques publiques : unités d'analyse

Figure 3: Structure systémique des politiques publiques : unités d'analyse

Note. Élaboration propre.

Il est à noter que ces unités d’analyse résultent d’un exercice de décomposition logique et d’une réflexion cognitive sur les vicissitudes du processus décisionnel, qui sous-tend le cycle ou système des politiques publiques. En outre, comme nous l’avons présenté dans l’approche conceptuelle, le sous-système des besoins représente l’écosystème où sont conçues et articulées les exigences multidimensionnelles de la société ; exigences susceptibles d’être insérées dans l’agenda du gouvernement, et intégrées dans le sous-système des problèmes publics. La connaissance ici représente toutes les informations recueillies par l’expérience et l’apprentissage ; c’est-á-dire, la possession de multiples données interconnectées qui justifient les décisions du gouvernement dans la formulation de son agenda (construction du sous-système de problèmes publics).

En ce sens, Roth (2014, p. 128) estime que l’analyse des décisions de politique publique exige l’intégration des connaissances et de la rationalité des acteurs impliqués dans le jeu de la formulation des politiques publiques. Le contexte est une unité très complexe qui couvre les dimensions spatio-temporelles, culturelles, sociopolitiques et économiques, dans lesquelles les politiques publiques sont exécutées. Le pouvoir et les intérêts représentent une unité fondamentale par le fait que tout processus décisionnel implique l’exercice du pouvoir ; ceci n’est rien d’autre qu’un Carrefour où s’entrecroisent les intérêts des différents acteurs impliqués dans ce puzzle de prise de décisions. C’est pourquoi Baudot et Revillard (2014, p. 26) estiment que « les politiques publiques, ciblant des personnes en situation de handicap, intègrent aujourd’hui les mots d’ordre de la réforme des États ».

La figure suivante montre, de façon simplifiée, les interactions entre les unités d’analyse des politiques publiques.

Interaction entre les unités d’analyse des politiques publiques

Figure 4: Interaction entre les unités d’analyse des politiques publiques

Note. Élaboration propre.

Les sous-systèmes peuvent représenter des traits socioculturels et politiques dominants tels que la religion, les partis politiques, les besoins, la corruption, entre autres. Il faut noter ici que l’environnement externe influe aussi de façon déterminante dans le système des politiques publiques.

Sous la toile de fond de la Figure 4, il est clair que la rationalité des acteurs impliqués dans le cycle des politiques publiques constitue le pont entre toutes ces unités d’analyse. En fait, le cycle ou système des politiques publiques est influencé par des aspects rationnels. Cela signifie, comme on l’a mentionné précédemment, que les politiques publiques représentent une sphère autonome de décisions et d’actions, avec une logique complexe, qui permet de distinguer entre la politique (comme science de l’action) et le politicien qui se donne le privilège de « penser et agir pour le bien des citoyens ». C’est pourquoi, il devient crucial de poser les fondements conceptuels d’une rationalité complexe, en tant qu’outil nécessaire pour la compréhension et l’analyse des politiques publiques.

3 Rationalité et approche décisionnelle

3.1 Consubstantialité des politiques publiques à la rationalité : les avatars du processus décisionnel

Lorsqu’E. Kant établit une relation entre la raison et la capacité d’utiliser les idées comme principes régulateurs de la pensée et de l'action, à travers l’impératif catégorique (abondant dans la littérature), il assume que l’action humaine obéit à un ensemble de maximes qui sont inhérentes au développement intégral de l’être humain. En ce sens, la rationalité kantienne représente l’ensemble des règles qui justifient l’action humaine. Sur cette logique, Dryzek (1993, p. 216) a élaboré une longue litanie de maximes pour illustrer la pertinence de la rationalité kantienne : la maxime de ne pas travailler un jour dans la semaine, pour récupérer les énergies ; la maxime de retourner des livres à la bibliothèque à temps, pour éviter des sanctions ; ou la maxime de tenir ses promesses, pour maintenir une bonne réputation vis-à-vis des autres.

Une maxime contient toujours les raisons en vertu desquelles une personne ou un groupe de personnes agit. Et même, le principe réaliste de Nicolas Machiavel : « La fin justifie les moyens » ; l’Oracle de Baltasar Gracian : « Une bonne fin semble toujours dorée, même si elle est contredite par les incongruités des moyens utilisés » ; la Loi de Busenbaum Hermann : « Quand une fin est légale, les moyens pour y parvenir le sont aussi » ; la tricherie africaine et latino-américaine : « Qui ne triche pas, n’avance pas » sont des maximes qui justifient le comportement et la rationalité humaine. Ces approches et des milliers d’autres illustrent clairement que la rationalité doit être comprise comme une réalité exercée individuel et culturellement, en plus d’être construite de façon intersubjective et véhiculée au sein des communautés humaines. C’est certainement la raison pour laquelle Vila (2004, p. 7) affirme que « la rationalité est une variable inséparable et inhérente au comportement humain ».

La consubstantialité dont nous parlons ici se réfère au fait que la rationalité et les politiques publiques possèdent des caractéristiques essentielles qui les unissent indéfectiblement, prenant part de la même nature et coexistant de la même substance. Nous assumons cette affirmation avec la conviction qu’on ne saurait parler ou analyser les politiques publiques sans prendre en considération l’effet de la variable « rationnelle ». Ainsi, la rationalité représente un macrosystème cognitif dans lequel les politiques publiques sont seulement un microélément qui est exalté et enrichi, grâce à la dynamique fonctionnelle de ce macrosystème. En étant ainsi, les politiques publiques se voient congénitalement liées à la rationalité des acteurs qui prennent part dans le cycle des politiques publiques.

Théoriquement mise en rapport à la connaissance, la rationalité articule la relation entre les décisions qui sont prises sur les politiques publiques et l’exécution effective de ces dernières. Habermas (1989, p. 95), à travers une approche procédurière et non utilitariste, considère que « la rationalité est la manière selon laquelle, les acteurs de la politique publique, à travers le langage et les différents codes de communication, font usage de la connaissance dans leurs actions ». McCarthy (1992, p. 15) le ratifie en affirmant que « cette analyse de Habermas, invite à repenser l’interdépendance des structures socioculturelles et les actions individuelles, collectives et gouvernementales ». Ceci signifie que la façon appropriée de manifester les attitudes, les intentions et les expressions qui ne cherchent pas nécessairement de « bons » résultats marque et définit la rationalité des acteurs des politiques publiques.

En ce sens, la rationalité sans aucun jugement de valeur ou préceptes manichéistes (bien et / ou mal) consiste à systématiser et à articuler consciemment, de manière cohérente, uniforme ou tout au moins comparable, une multitude d’options qui estampillent la direction, le destin et le but des décisions des acteurs engagés dans le cycle des politiques publiques. Évidemment les « rationalités » du Gouvernement sont guidées par ces hypothèses qui, en même temps, expriment la construction de différents types de liens entre celui-ci et la société. Entrer dans la mystique de la connaissance et la rationalité des public policies makers, permet de déchiffrer les logiques sous-jacentes dans la conception des politiques publiques. Il vaut la peine ici réaffirmer que les décisions des politiques publiques (antichambre de l’agenda gouvernemental), loin d’être endogènes au Gouvernement et préalablement constituées, sont un ensemble d’idées, de perceptions et de convictions empaquetées, représentées et exprimées qui servent de justification à la concrétisation du sous-système des problèmes publics (Mballa, 2017a, p. 112).

Ceci signifie que la rationalité est inhérente et consubstantielle au processus décisionnel du Gouvernement ; cependant, le cycle des politiques publiques ne peut se limiter seulement à « la prise des décisions » pour la construction du sous-système des problèmes publics (agenda). Les adeptes l’approche séquentielle (formulation, mise en œuvre, évaluation et impacte) savent que chacune de ces séquences implique des sous-étapes et des modèles de décision. De même, il est impossible de penser qu’une certaine activité du Gouvernement et des autres acteurs impliqués dans le cycle des politiques publiques soit exempte de cette logique, faisant de la rationalité une variable consubstantielle au système des politiques publiques.

3.2 Rationalité et interdépendance des variables dans le processus décisionnel

Comme nous l’avons précisé précédemment, la rationalité et les connaissances sont inhérentes et consubstantielles à tout le cycle des politiques publiques. Suivant l’approche de Meixueiro (2013, p. 19): « …grâce à la connaissance et à la rationalité, le gouvernement peut : (1) décider qu’il existe un problème ; (2) décider que ce problème requiert une solution ; (3) décider la meilleure ou la pire manière de résoudre ce problème ; (4) décider de légiférer sur ce problème ; (5) décider, décider et décider … ».

Cette approche, qui peut être perçue comme une procédure absolument linéaire ou fragmentée, est simplement une logique d’interaction et d’interdépendance entre les variables du processus décisionnel ; en plus, elle détermine l’importance de la connaissance et de la rationalité sous-jacentes dans le cycle des politiques publiques. Ceci ratifie le fait que le critère rationnel reste inévitable dans ce processus décisionnel ; les orientations que lui confère le Gouvernement sont autre chose, car c’est à la fin (s’il en existe une) du cycle d’une politique publique que l’on peut apprécier si les décisions ont été bonnes ou mauvaises, en fonction des intérêts tant de la société, comme du Gouvernement lui-même.

Sans doute c’est ce qu’Aguilar (2007, p. 214) a voulu exprimer, en considérant que « l’idéation d’une analyse moderne des politiques publiques, implique un processus de discussion rationnelle entre les citoyens et le gouvernement ». En d’autres termes, la contextualité des politiques publiques ne peut se limiter à l’étape de formulation (processus pré-décisionnel), mais comprend aussi sa mise en œuvre (processus post-décisionnel). Nous pensons, contrairement à Aguilar, que le processus post-décisionnel ne peut être exclusif des étapes de mise en œuvre et d’évaluation des politiques publiques ; mais, plutôt, que les décisions venues des politiques publiques constituent un sous-système qui se réinvente et se régénère de façon permanente, comme résultat de l’interdépendance des variables inhérentes dans le processus décisionnel. Pour autant, ce qui est communément considéré comme processus post-décisionnel marque l’opportunité pour la génération de nouvelles nécessités, des inquiétudes et des préoccupations, qui incitent à prendre de nouvelles décisions. C’est ce que dans la Figure 1, nous avons appelé « Administration ou gestion des décisions », qui est d’autant plus complexe que la construction de l'agenda gouvernemental (sous-système de problèmes publics).

En fin de compte, les problèmes publics (résultats du premier processus décisionnel) ne sont pas des faits bruts ou spontanés ; leur nature se cristallise dans un sous-ensemble limité, puisqu’à considération d’Aguilar (2008, p. 254), « tous les besoins ne seront jamais susceptibles de se transformer en problèmes publics, ni tous les problèmes publics peuvent faire l’objet d’attention gouvernementale ». Ceci signifie, comme nous l’avons signalé, que la construction du sous-système des problèmes publics obéit à un certain type de connaissance et de rationalité du Gouvernement ; Amparo et Maldonado (2008, p. 3) le ratifient en affirmant que « la susceptibilité de problématiser un ensemble d’informations, faits et données, en les convertissant en question d’intérêt public, est un processus rationnel et constitutif du cycle de la politique publique, qui délimite et définit l’action gouvernementale ».

4. La rationalité complexe : fondement explicatif des politiques publiques

4.1 Le puzzle d’une perspective fragmentée

La promiscuité de la variable rationnelle implique qu’on puisse lui attribuer n’importe quel adjectif qualificatif, le soutenir avec des arguments intelligibles et décrire la raison d’être des politiques publiques. C’est le cas de Mario Bunge (1982, p. 210) qui s’est limité à sept qualificatifs pour expliquer l’incursion de la rationalité dans le cycle des politiques publiques. Il s’agit de la rationalité :

  • conceptuelle : diminution de la confusion

  • logique : orientation vers la cohérence pour éviter la contradiction

  • méthodologique : interrogation, doute, critique et justification

  • gnoséologique : valorisation de la dimension empirique pour éviter des conjectures incompatibles avec le volume de connaissance des acteurs de prise de décisions

  • ontologique : adoption d’une conception essentielle, fondamentale et originale des politiques publiques, qui soit cohérente et compatible avec l’évolution scientifique et technologique

  • évaluative : poursuite des objectifs qui, en plus d’être réalisables, doivent être mesurables et évaluables

  • pratique : adoption des moyens qui puissent aider à atteindre les objectifs

Si à ces sept arguments de Bunge, nous ajoutions la « rationalité limitée » de Herbert Simon, « la rationalité incrémentale » de Charles Lindblom, « la rationalité instrumentale » de Jürgen Habermas et les seize de Max Weber (systématique, calculable, impersonnelle, régie par des règles, efficace, instrumentale, précise, quantitative, qualitative, scrupuleuse, etc.), il s’ouvre un puzzle indéchiffrable qui complique la compréhension des logiques sous-jacentes dans le processus d’idéation et d’exécution des politiques publiques.

En réalité, aucune de ces approches n’est suffisante ou exhaustive pour expliquer les logiques sous-jacentes dans le cycle des politiques publiques, depuis la construction de l'agenda, jusqu’à son exécution. Ceci signifie qu’aucune n’est, du point de vue analytique, supérieure, inférieure, meilleure ou pire que les autres ; tout dépend des orientations cognitives de chaque analyste, comme caractéristique essentielle de la complexité qui est autour du système des politiques publiques.

Les fanatiques de la rationalité limitée diront que la construction de l’agenda et l’aboutissement du cycle des politiques publiques sont faits sur la base des limitations multidimensionnelles (sociopolitiques, économiques, culturelles, etc.) des acteurs impliqués dans ce processus. Les partisans de la rationalité incrémentale diront que les politiques publiques sont menées à bon port, grâce à la simplification des situations problématiques ; tandis que les instrumentalistes affirmeront que les politiques publiques sont un scenario dans lequel certains acteurs se servent de moyens, pour que d’autres atteignent leurs objectifs et vice-versa (Mballa, 2017 b, p. 117).

Bien que la rationalité limitée, la rationalité incrémentale, la rationalité économique, la rationalité pratique, la rationalité normative, la rationalité instrumentale, l’élection rationnelle, l’irrationalité, la rationalité n (infini), et d’autres perspectives, fassent des contributions dans l’analyse et la compréhension des politiques publiques, la nature des interactions du point de vue de la complexité exclut toute logique d’addition ; c’est-à-dire que la rationalité complexe ne sait être la somme des autres rationalités, sinon que met en exergue l’incalculable interdépendance qui existe entre les acteurs et les unités (besoins, connaissance, contexte, pouvoir et intérêts) inhérents au cycle des politiques publiques.

4.2 Vers des fondements épistémologiques de la rationalité complexe : relation dialogique et multidimensionnelle entre les acteurs des politiques publiques

Parmi d’autres définitions, une théorie est un ensemble organisé d’idées qui expliquent un phénomène ; des idées déduites à partir de l’observation, de l'expérience ou du raisonnement logique. Dans le livre The Eight-Step Path of Policy Analysis: A Handbook for Practice,Bardach (1998, p. 54) considère que

théoriser sur les politiques publiques, est plus un art qu’une science ; c’est un exercice qui se base tant sur l’intuition comme sur la méthode ; c’est la manière dont on utilise la connaissance, à travers une orientation multidisciplinaire, pour déchiffrer les énigmes des politiques publiques, en prédisant et décrivant leurs impacts et surtout, sans compter sur une alternative préférentielle et/ou consciemment préétablie.

Ainsi, la systématisation de la rationalité complexe fait allusion à la réorganisation des idées et des logiques sous-jacentes dans le processus de construction des politiques publiques. Cette systématisation part de l’hypothèse selon laquelle la relation dialogique et multidimensionnelle entre les acteurs des politiques publiques obéit aux principes des systèmes complexes.

Selon Gairin (2010, pp. 152-153) , les principes épistémologiques qui permettent d’analyser les politiques publiques à travers le paradigme de la complexité, et qui constituent la pierre angulaire pour établir les fondements épistémologiques de la rationalité complexe sont entre autres :

  • Connaître pour faire, c’est-à-dire, combiner les connaissances théoriques avec l’action

  • Connaître pour innover, c’est-à-dire, connaître pour créer de nouvelles connaissances, au-delà du savoir technico-applicationniste

  • Connaître pour repenser ce qui est connu, ou ce que l’on croit connaître (les politiques publiques), c’est-à-dire, réinventer les connaissances et éprouver les catégories conceptuelles avec lesquelles le scientifique ou le technologue travaille, pour rendre la réalité intelligible ou manipulable, afin de pouvoir l’étudier de forme intégrale

Au milieu de la restructuration de la pensée qui a donné lieu au surgissement du paradigme de la complexité, Edgar Morin, sur la base de la théorie générale de systèmes de Bertalanffy, a affirmé que « chaque système est un et multiple [...] sa diversité est nécessaire pour son unité, et son unité est nécessaire pour sa diversité » (Morin, 1994, p. 78). Niklas Luhmann (2015, pp. 165-180) le ratifie en affirmant que pour comprendre la véritable fonction sociale de la complexité, il est nécessaire de la reconstruire à partir d’une théorie des systèmes. Pour sa part, Le Bourhis (2003, pp. 161-175) considère que la conduite ordinaire des actions collectives est remise en question par la pluralité de ces interdépendances, comme par l’ensemble des causes et des effets qui débordent le cadre des savoirs établis. À ce premier facteur de perturbation, s’ajoute la nécessité d’articuler la dimension technique, dont dépend l’efficacité de l’action menée, avec les dimensions procédurale-démocratique et formelle-juridique qui assurent la légitimité et la régularité des décisions prises.

Ces approches sur la complexité ont instauré une méthodologie de compréhension et d’analyse de la réalité qu’a priori paraîtrait inaccessible à la raison humaine. Afin de dénouer l’ambiguïté qui planait sur cette approche, Morin a pris soin de souligner que l’orientation vers une pensée complexe se cristalliserait, si et seulement si nous estimions qu’il serait impossible de réduire, ni le tout aux unités, ni les unités au tout, ni l’unité au multiple, ni le multiple à l’unité ; sinon, il s’agit d’essayer de concevoir ensemble, et de façon à la fois complémentaire et antagoniste, les notions du tout et ses unités, ainsi que celles de l’unité et le multiple. Il s’agit de la philosophie de l’unité dans la diversité. L'idée de la complexité ici indique qu’au-delà de leur diversité constitutive et de leurs unités d’analyse (voir Figure 3) les politiques publiques, tout en ayant une identité propre, possèdent aussi une identité commune, car elles sont soumises à des règles d’organisation systémique.

Cette perspective donne un sens et une signification à la fameuse dialogique morinienne ordre-désordre-interaction-organisation, comme fondement de tout système, et comme tétragramme nécessaire pour comprendre la notion de complexité qui est autour des politiques publiques. En fait, comme nous l’avons vu, le système des politiques publiques est constitué de plusieurs unités, différentes les unes des autres ; pour cela, suivant la logique de Morin, d’une part, la transformation de l’ordre en désordre pourrait marquer un pas décisif vers l’organisation du système des politiques publiques ; d’autre part, l'existence d’antagonismes incite ce même système, à travers la rétroaction Feed-back (positif / négatif), à engendrer des forces anti-antagonistes. La fonction de la rétroaction consiste à maintenir la stabilité du système, comme processus dynamique et de réarrangements permanents, qui permettent l’absorption des forces anti-organisationnelles, endogènes et exogènes au système des politiques publiques.

L’implication sous-jacente ici est que les concepts d’ordre et de désordre ne sont plus seulement antagonistes, mais ils sont à la fois complémentaires et antagonistes, car favorisent la stabilité et l’organisation du système des politiques publiques. Collella Guillero (2011, p. 986) sur la base de la théorie de la complexité, dans son article « Complejidad y políticas públicas: modelo de la telaraña », considère que « les tensions et réajustements des interactions entre les acteurs, provoquent une restructuration constante du système des politiques publiques ». En outre, une analyse réductionniste des politiques publiques, qui se limite aux seules unités, ne serait pas à la hauteur des défis épistémologiques pour la compréhension des politiques publiques d’une part ; et d’autre part, une approche holistique, qui se limite à l’analyse du Tout présenterait de nombreuses incohérences. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner, en même temps, toutes les unités du système de façon isolée, ainsi que leurs interactions.

À cet effet, l’importance d’une rationalité complexe s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle, même si les politiques publiques forment un système avec de multiples propriétés et de divers acteurs, et même si chacune de ces propriétés et chacun de ces acteurs ont une identité propre, tous font partie d’un ensemble commun, dû au fait qu’ils sont soumis à des règles organisationnelles. En ce sens, la réponse du Gouvernement face à une situation socialement problématique, à travers l’élaboration des politiques publiques, doit être fondée sur l’hypothèse selon laquelle cette même situation socialement problématique est un sous-système complexe du macro-système de politiques publiques.

Concrètement, une approche de la rationalité complexe pour l’analyse des politiques publiques consiste, d’une part, à déconstruire les unités d’analyse que nous avons établies dans la Figure 3, et les reconstruire sur la base de la connaissance ; et d’autre part, cette approche consiste aussi à examiner les liens rationnels entre ces unités d’analyse selon le schéma suivant:

Bases de formulation de la perspective d’une rationalité complexe

Figure 5: Bases de formulation de la perspective d’une rationalité complexe

Note. Élaboration propre

Comme nous l’avons signalé au début, cet exercice d’extrême complexité est possible grâce à la méthode analytique-synthétique.

Conclusion

Établir un rapprochement entre la théorie et la pratique pour poser les bases d’une rationalité complexe est un processus de raisonnement qui nous permet de questionner la façon actuelle d’aborder ou de résoudre les problèmes publics. Entrer dans le mystère des rationalités sous-jacentes dans le système des politiques publiques relève de l’innovation ; actuellement, les sciences politiques et sociales semblent être en panne en termes d’innovation dans la construction théorique, méthodologique, voire conceptuelle. Il s’agit de faire une explosion méthodique et émietter la politique publique, analyser ses caractéristiques, ses éléments constitutifs et l’interaction entre ces éléments pour la reconstruire sur une nouvelle base épistémologique.

Une telle philosophie de compréhension et d’analyse des politiques publiques pourrait permettre de faciliter et de renforcer le travail interinstitutionnel (surtout entre les secteurs public et privé). Ceci, dans une certaine mesure, contribuerait à orienter les impacts des politiques publiques dans la vie quotidienne des citoyens. Pour cela, il est indispensable que les pôles de prise de décision du Gouvernement (à tous les niveaux) établissent un entrecroisement entre les dimensions théorique et pratique, pour affaiblir la tension entre conviction et illusion, entre rhétorique et action, entre ce que sont et ce que doivent être les conditions de vie des citoyens.

Cette vision holistique des problèmes publics coïncide avec la majorité des théories de développement, de l’administration publique et surtout de prise de décision. Ainsi, comme nous l’avons souligné, la systématisation de cette perspective de la rationalité complexe fait allusion à la réorganisation des idées et des logiques sous-jacentes dans le processus de construction des politiques publiques, partant de l’hypothèse selon laquelle la relation dialogique et multidimensionnelle entre les acteurs des politiques publiques obéit aux principes des systèmes complexes.

Cela signifie qu’à travers cette approche l’analyse des politiques publiques nous éloigne d’une perspective fermée, linéaire et fragmentée ; au contraire, nous invite à repenser la façon dont les différentes politiques publiques peuvent être intégrées, pour éviter qu’elles produisent un effet d’exclusion mutuelle. Ceci est transcendantal et possible à partir de la conviction selon laquelle la politique publique est un système à la fois homogène et hétérogène et dont la raison d’être s’explique par le flux d’interactions entre les différents acteurs.

Acknowledgements

Rermerciements

Cet article original résulte du projet de recherche "Politiques publiques et complexité". Je remercie le Rectorat et la direction la faculté de comptabilité et administration de l'université autonome de San Luis Potosí pour avoir financé cette recherche réalisée au "Colegio de San Luis" en 2016.

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Traduction propre de l'espagnol.
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