Le rôle des collègues stagiaires dans l’entretien d’autoconfrontation croisée : une analyse énonciative du discours en formation des enseignants de FLE

 

El papel de los colegas en formación en la entrevista de autoconfrontación cruzada: un análisis enunciativo del discurso en la formación del profesor de FLE

 

The Role of Trainee Colleagues in the Self-Confrontation Interview: An Enunciative Analysis of the Discourse in the Training of the Teachers of French as a Foreign Language

 

 

Fumiya Ishikawa1

Université Rikkyo, Tokyo, Japon 

Université Paris III-Sorbonne nouvelle, Paris, France 

 

 

Résumé

 

L’entretien de type « autoconfrontation croisée » est l’une des méthodes largement exploitées dans le domaine de la formation professionnelle. Si certaines recherches en ergonomie du travail visant à orienter les actions humaines liées au travail et à transformer ainsi le milieu professionnel s’intéressent au travail d’enseignant, la formation des enseignants de langues étrangères n’y est toutefois pas tant approfondie. On ne doutera pas pour autant que ce dispositif peut également profiter à la formation des enseignants de fle (français langue étrangère) ainsi qu’à la réflexion sur cette dernière. Il présente en effet à l’enseignant interviewé l’occasion d’« objectiver sa subjectivité », ce avec l’aide non seulement de l’« expert » mais aussi de ses collègues. Sujets coparticipants du trilogue énonciativement complexe et praxéologiquement orienté et dont la source de référence – le cours – est marquée par une complexité énonciative importante, les collègues de l’enseignant interviewé lui apportent un autre point de vue sur l’interprétation du dit et du fait produits dans sa classe. Ils lui offrent la possibilité d’objectiver non seulement ce qui s’est produit en classe, mais aussi ce qu’il en pense au moment de l’interview. Cet autre point de vue incite ainsi l’enseignant interviewé à s’apercevoir de ce qu’il n’aurait pas pu remarquer seul quant au dit et au fait produits dans la classe. Les pairs de l’enseignant le secondent dans l’objectivation de sa subjectivité, en tant que « collègues-objectivants » susceptibles eux-mêmes de rencontrer des problèmes semblables au cours de leur formation suivie.

 

Mots-clés: autoconfrontation croisée, collègue-objectivant, complexité énonciative, entretien, formation des enseignants de français langue étrangère, objectivation de subjectivité, trilogue.

 

Resumen

 

El tipo de entrevista de autoconfrontación cruzada es uno de los métodos más utilizados en el campo de la formación profesional. Si bien algunas investigaciones sobre ergonomía dirigidas a guiar las acciones humanas en relación con el trabajo y a transformar el entorno profesional son relevantes para el trabajo docente, la formación de profesores de idiomas extranjeros no es tan completa. No hay duda de que este sistema también puede beneficiar la capacitación de los docentes de francés como lengua extranjera (fle) y la reflexión sobre esta. Esta estrategia le brinda al profesor entrevistado la oportunidad de «objetivar su subjetividad», con la ayuda no solo del «experto», sino también de sus colegas. Siendo sujetos que participan en un trílogo enunciativamente complejo y orientado praxeológicamente, cuya fuente de referencia —es decir, el curso— está marcado por una importante complejidad enunciativa, los colegas del profesor entrevistado le dan otro punto de vista sobre la interpretación de lo dicho y lo ocurrido en su clase. Asimismo, le ofrecen la oportunidad de objetivar no solo lo que sucedió en clase, sino también lo que él piensa al momento de la entrevista. Este otro punto de vista alienta al profesor entrevistado a darse cuenta de lo que no pudo haber notado solo en cuanto a lo que se dijo y se hizo en el aula. Los compañeros del profesor lo apoyan en la objetivación de su subjetividad como «colegas que objetivan», que pueden encontrar problemas similares durante su entrenamiento.

 

Palabras clave: autoconfrontación cruzada, capacitación de los docentes de francés como lengua extranjera, colega que objetiva, complejidad enunciativa, entrevista, objetivación de la subjetividad, trílogo.

 

Abstract

 

The cross self-confrontation interview is a method widely used in vocational training. Some ergonomic studies, which aimed at guiding work-related human actions and transforming the work environment, have focused on teachers’ work. However, the training of teachers of foreign languages has not been investigated sufficiently. The method of the cross self-confrontation interview can be beneficial in this context too, in particular for the training of the teachers of French as a Foreign Language (FFL). It allows the interviewed teacher to objectify himself/herself, or “objectify his/her subjectivity,” not only with the help of an expert but also with the collaboration of his/her colleagues. Participating in the enunciatively complex and praxeologically-oriented trialogue —which stems from the enunciatively complex discourse in the classroom— the colleagues of the interviewed teacher offer a different perspective concerning the interpretation of what she/he said and did in the classroom. They allow him/her the opportunity to objectify not only what happened in the classroom, but also what he/she thinks about it during the interview. This additional perspective encourages the interviewed teacher to notice what he/she would not have been able to discern by himself/herself concerning what happened in the classroom. The peer colleagues help the interviewed teacher to objectify himself/herself as an “objectifying colleague” who are themselves likely to encounter similar problems in their work.

 

Keywords: cross self-confrontation, enunciative complexity, interview, objectification of the subjectivity, objectifying colleague, training of the teachers of French as a foreign language, trialogue.

 

 

Cómo citar: Ishikawa, F. (2019). Le rôle des collègues stagiaires dans l’entretien d’autoconfrontation croisée : une analyse énonciative du discours en formation des enseignants de fle. Matices en Lenguas Extranjeras, 0(13), 192-207. DOI: 10.15446/male.n13.85996

 

Este trabajo se encuentra bajo la licencia Creative Commons Attribution 4.0.

 

Artículo de reflexión

Recibido: 30 de diciembre de 2018 Aprobado: 25 de febrero de 2020

 

 

La formation des enseignants de langues constitue l’un des intérêts de la didactique du français langue étrangère (désormais, FLE). Vers le milieu des années 2000, cette dernière a rencontré la théorie de l’action appuyée sur la psychologie cognitive2 , ce qui lui a permis de développer les recherches qu’elle avait menées jusqu’alors portant tout particulièrement sur le « répertoire didactique » (Cicurel, 2002), c’est-à-dire les savoirs et le savoir-faire attachés à l’enseignement, pour en arriver à s’interroger sur la réalisation verbale et / ou non verbale de ce répertoire en discours, qu’est l’« agir professoral » (Cicurel, 2005, 2007 et 2011). C’est dans ce cadre que se sont ensuite posées les questions de savoir comment se développe l’agir professoral d’un enseignant « novice » à travers l’interaction avec les apprenants en classe de fle, quels sont les apports formatifs que l’on peut reconnaître dans l’interview effectuée après coup par un « expert » auprès de lui en face de ses pairs et comment ces deux interactions – à savoir celle entre enseignant « novice » et « expert » et celle entre enseignant « novice » et apprenants – contribuent, en s’articulant l’une l’autre, au développement de la pensée enseignante chez l’enseignant « novice ».

 

Le dispositif méthodologique auquel cette nouvelle recherche en didactique du FLE s’intéresse est largement exploité par ailleurs, entre autres par l’analyse ergonomique du travail (Leplat, 2001), qui vise à orienter les actions humaines liées au travail (Prot, 2006) et ainsi à transformer, du point de vue de la psychologie ergonomique, le milieu de travail (Leplat, 1997). Il s’agit de l’entretien d’« autoconfrontation croisée » (Clot & Faïta, 2000 ; Clot, Faïta, Fernandez & Scheller, 2000 ; Faïta & Vieira, 2003). Si certaines recherches en éducation s’alignent sur l’approche ergonomique pour analyser l’activité enseignante (Amigues, 2003) et que d’autres tentent d’alléguer explicitement l’autoconfrontation croisée pour examiner le travail de l’enseignant spécialisé dans une discipline (Yvon & Garon, 2006), la formation des enseignants de langues étrangères n’est toutefois pas approfondie en tant que sujet primordial dans le courant de l’ergonomie du travail. Elle ne l’est pas non plus dans le champ de l’éducation.

 

La présente contribution n’a pas l’ambition de combler ce clivage entre, d’une part, la formation des enseignants de langues étrangères et, d’autre part, l’ergonomie du travail ou la science de l’éducation. Elle se propose plutôt de développer ce qui a été recherché jusqu’à maintenant à travers la réflexion menée dans le domaine de la didactique du FLE portant sur l’agir professoral3 . Dans le cadre de la présente recherche, nous nous intéresserons tout particulièrement aux propos prononcés par les pairs de l’enseignant stagiaire en situation d’entretien de type d’autoconfrontation croisée – situation d’interview croisée sans images vidéo-enregistrées –4 , pour mettre en lumière, dans un premier temps, comment ils participent à la construction du discours et, ensuite, quels sont les rôles, d’ordre formatif ou d’un autre ordre, qu’ils jouent en face de leur collègue ayant dispensé un cours.

 

Notre réflexion sera fondée sur l’analyse d’un corpus d’interviews croisées construit par l’une des équipes du laboratoire de recherche DILTEC (« Didactique des Langues, des Textes et des Cultures ») à l’Université Paris III, équipe baptisée IDAP (« Interactions Didactiques et Agir Professoral »)5 en collaboration avec des enseignantes stagiaires spécialisées en didactique du fle et une conseillère pédagogique6 .

 

Les pairs dans la construction du discours d’entretien croisé

 

Trilogue énonciativement complexe et praxéologiquement orienté

 

Le discours d’interview croisée est construit par des interactions verbales auxquelles participent les trois partis. Ce sont un enseignant « novice » – dans notre recherche, l’enseignante stagiaire en didactique du FLE – dont le cours a été observé, un « expert » – pour nous, la conseillère pédagogique – ayant observé ce cours en tant que spécialiste du domaine et, enfin, les pairs – eux aussi enseignants « novices » de fle – étant observateurs du cours de leur collègue et se faisant chacun observer dans le cours qu’ils dispensent à la fois par l’« expert » et par les autres membres de l’équipe de collègues. Ainsi bâti en collaboration à trois, le discours d’interview croisée est une interaction à caractère de trilogue « externe » (Bakhtine, 1929, trad. française 1977)7 , dans laquelle s’échangent des propos non seulement entre l’enseignant « novice » observé dans la classe et l’« expert », mais aussi entre ce dernier et les autres enseignants et, qui plus est, parmi les enseignants « novices » eux-mêmes.

 

Par ailleurs, la situation d’interview croisée s’impose par le fait qu’elle est constituée par un discours « polyphonique » (Bakhtine, 1975, trad. française en 1978) ou un « dialogue interne » désignant l’interaction implicite entre le discours et d’autres discours8 . Chez Bakhtine, tout discours excepté celui d’« Adam-le-solitaire »9 s’oriente vers le « déjà dit », le « connu » et l’« opinion publique », soit vers les discours précédemment tenus. Il souligne ainsi :

 

Le discours naît dans le dialogue comme sa vivante réplique et se forme dans une action dialogique mutuelle avec le mot d’autrui, à l’intérieur de l’objet. Le discours conceptualise son objet grâce au dialogue (ibid. : p. 103).

 

L’objet du discours en situation d’interview croisée s’assimile en effet avec un ensemble de « mots d’autrui », constitué par les interactions verbales entre l’enseignant stagiaire et les apprenants de la classe, lesquelles se distinguent par leur complexité énonciative (Bange, 1986 ; Cicurel, 1996 ; Trévise, 1979). C’est à cet objet que renvoie le discours en situation d’interview croisée, ce qui lui confère une caractéristique énonciativement complexe (Ishikawa, 2012a).

 

Remarquons aussi que le discours en situation d’interview croisée se réfère aussi aux comportements non verbaux de l’enseignant et des apprenants réalisés dans la classe10 .

 

Dans le cadre de la formation des enseignants de FLE, l’interview croisée réalise donc un discours trilogal énonciativement complexe – à la fois « externe » et « interne » – et qui renvoie non seulement au discours produit dans la classe – discours lui-même énonciativement complexe –, mais aussi aux actions qui y sont pratiquées pour la transmission des savoirs et du savoir-faire langagiers.

 

La référence du discours des pairs

 

Pour ce qui concerne notre recherche, le discours en situation d’interview croisée est construit en collaboration avec la conseillère pédagogique et les collègues stagiaires, qui ont l’une et les autres observé le cours dispensé par notre sujet d’expérience, qui est, elle aussi, enseignante stagiaire. C’est sur les propos de cette dernière ainsi que sur ceux de la conseillère pédagogique, que porte le discours des autres enseignants stagiaires. Nous commençons par nous arrêter sur les particularités de l’échange verbal entre l’enseignante « novice » et l’« expert » en situation d’interview croisée, avant d’examiner les propos des autres enseignants stagiaires qui s’y rattachent .

 

Dans la séance d’interview croisée, l’enseignante stagiaire parle, de bon gré ou en réponse à des propos de la conseillère pédagogique, du dit et du fait qu’elle a produits dans la classe. Par ailleurs, elle prend directement en compte les actions verbales et / ou non verbales des apprenants. Il en est de même pour le discours de la conseillère pédagogique, c’est-à-dire qu’il se réfère, tantôt indirectement – à travers principalement le discours de l’enseignante stagiaire interviewée – tantôt directement – sans l’intermédiaire de ce dernier –, au discours produit en classe de langue et aux comportements non verbaux qui y ont été réalisés. On en observe quelques occurrences dans la séquence suivante. Il s’agit d’un extrait du corpus constitué de la séance de commentaires sur le cours de grammaire dispensé par notre enseignante stagiaire surnommée Marie-Laure, dans lequel cette dernière fait apprendre des expressions hypothétiques ou conditionnelles aux apprenants11  :

 

 

Extrait 1

003

CP1

mais vous avez été troublée vous vous rappelez y a eu la production tout au début et c’est drôle parce qu’ils sont pas revenus dessus euh y a quelqu’un qui vous a répondu avec et ça allait bien le conditionnel euh présent =

004

ML(Stag)

présent à la place du conditionnel =

005

CP1

= et vous avez senti ça parce que j’ai vu vous avez hésité et vous avez pas vous n’avez pas : saisi le le le vous voyez mais s’il ne s’était pas marié d’accord ↑ quelqu’un a dit il serait plus heureux aujourd’hui d’accord et vous vous avez voulu vous n’avez pas voulu enfin vous n’leur avez pas expliqué qu’il y avait une différence entre l’état et l’action d’accord ↑ entre entre les verbes qui expriment un état et les verbes qui expriment une action parce que ils avaient envie de dire ça et comme vous êtes passée au conditionnel passé parce que c’était c’était votre objectif c’est un peu tombé euh

006

ML(Stag)

ouais

007

CP1

c’est un peu retombé =

008

ML(Stag)

= ouais y avait eu ça et y a aussi le coup du passé composé que j’ai laissé tomber

009

CP1

oui euh

010

ML(Stag)

parce que en fait déjà j’voulais éclaircir ces trois grandes lignes

011

CP1

hm hm

012

ML(Stag)

et du coup j’me suis dis si je rajoute des ramifications donc dans celles qui étaient données effectivement il pouvait y avoir ben le conditionnel présent si j’avais l’impression qu’j’allais encore plus les : euh les

[…]

059

ML(Stag)

oui mais en même temps j’suis pas sûre parce que j’suis pas sûre d’avoir réussi à autant leur éclaircir les idées que j’l’aurais voulu alors en fait j’suis un peu frustrée parce que du coup comme ça : ils me demandaient du sens et j’voulais tout à fait leur en fournir parce que j’voulais pas seulement rester grammaticale

[CC(ML)-1]

 

 

Dans les propos prononcés par Marie-Laure en tant que stagiaire (abrégée en ML(Stag) dans le corpus) ainsi que dans ceux de notre conseillère pédagogique (CP1) sont rapportés le dit et le fait des apprenants (en gras). On observe aussi les comportements verbaux et / ou non verbaux de Marie-Laure en classe (à la fois en gras et en italiques).

 

Remarquons que les propos de la conseillère pédagogique consistent à amener l’enseignante stagiaire à revenir sur le dit et le fait qu’elle a produits dans la classe. C’est tantôt pour lui donner une évaluation à l’égard du projet d’enseignement qu’elle y a mis en place (votre objectif c’est un peu tombé en 005 et c’est un peu retombé en 007) ou, comme on l’observe dans la séquence suivante extraite de la séance de commentaires portant sur le cours que Marie-Laure a dispensé à l’aide du texte de Zola, tantôt pour « diagnostiquer » (Ishikawa, 2012a et 2012b) un problème dans les tâches qu’elle a assignées aux apprenants (en gras), tantôt pour l’aider à identifier la difficulté que les apprenants ont eue dans l’une des tâches attribuées (à la fois en gras et en italiques). Dans tous les cas, c’est pour lui faire parler, d’un point de vue objectif, d’elle-même :

 

 

Extrait 2

088

CP1

donc pour euh mettez-vous à la place qu’est-ce que qu’est-ce qui est difficile pour eux ↑ qu’est-ce qui était difficile pour eux ↑

(silence)

089

CP1

malgré c’est bien malgré votre bon débroussaillage euh c’était c’é c’était pas mal c’était c’était construit euh qu’est-ce que ils vous ont bien suivi parce que je crois qu’ils ont fait des des progrès comme je disais tout à l’heure par rapport à ça euh mettez-vous à à leur place qu’est-ce qui est difficile pour eux + + on essaie de récapituler là

[…]

 

 

138

CP1

[…] c’est beaucoup trop long quand vous avez des des taches si ardues à mener jusqu’au bout eh  c’est ça le le le problème […]

[CC(ML)-2]

 

 

L’échange verbal entre enseignant « novice » et « expert » en séance d’interview croisée sur lequel s’enchaînent les propos des autres enseignants « novices » est donc marqué non seulement par la réflexivité énonciative, mais aussi par la réflexivité cognitive, voire « métacognitive » (Tochon, 1996) – c’est-à-dire par le retour sur le dit et le fait du sujet lui-même –. Nous mettons maintenant en lumière comment s’articulent les interventions des collègues avec l’interaction entre l’enseignant « novice » et l’« expert », marquée par de telles réflexivités.

 

Le « collègue-objectivant » dans la séance d’entretien croisé

 

Les collègues « novices » en tant que « collègues-objectivants »

 

Dans la séance d’interview croisée, les collègues présentent à l’enseignant interviewé un autre point de vue que celui de ce dernier, alors que leurs répertoires didactiques, en voie de développement comme celui de l’interviewé, ne sont pas comparables à celui d’un enseignant « chevronné ». Ceci est illustré par la séquence suivante extraite de la même séance de commentaires que la précédente :

 

 

Extrait 3

138

CP1

vous [= Marie-Laure] vous vous vous stagnez un peu enfin vous stagnez vous traînassiez un peu sur la : sur la sensibilisation =

139

B(Stag)

= mais je trouve que le côté communicatif est plus difficile dès qu’on s’attache aux textes

[…]

142

CP1

oui oui

143

B(Stag)

XX ça a un côté très agréable et quand on passe à l’analyse du texte alors on ne sait pas trop comment comment faire parce qu’il faut faire du communicatif et en même temps il faut faire une ana- une analyse qui est une analyse littéraire

[…]

146

CP1

[…] je disais tout à l’heure avec les mots

[…]

149

B(Stag)

oui

150

CP1

ils ont leurs mots de tous les jours mais ils n’arrivent pas à ::: à mieux préciser à mieux cerner à mieux expliquer encore que là quand vous avez bien sensibilisé sur les l’auteur le narrateur etc. c’était pas mal quand même eh ↑ par rapport au : champ lexical eh ↑

[CC(ML)-2]

 

 

De 139 à 150, l’échange verbal est fait exclusivement entre l’une des stagiaires, B(Stag), et la conseillère pédagogique. Juste avant cette série d’échange, la conseillère pédagogique renvoie à une période de stagnation produite dans le cours, stagnation qu’elle attribue à la longueur de la tâche de sensibilisation introduite par Marie-Laure pour faire étudier le texte de Zola aux apprenants. Puis, la stagiaire B prend la parole pour signaler à la conseillère pédagogique l’incapacité qu’en général, les enseignants « novices » éprouvent à bâtir une activité communicative sur un texte littéraire (à la fois en gras et en italiques). Ces propos démontrent que le répertoire d’enseignement de la stagiaire B n’est pas celui d’un « expert », l’écart étant ensuite affirmé par la conseillère pédagogique qui lui donne des « conseils » (Ishikawa, 2012a et 2012b) pour souligner l’importance de la sensibilisation des apprenants à l’égard de l’auteur du texte (en gras).

 

Les répertoires didactiques des collègues n’ont pas pour autant des configurations identiques à celui de l’enseignant stagiaire. Ils varient de l’un à un autre :

 

 

Extrait 4

048

AC(Stag)

ce n’est pas ce n’est pas le plus simple là tu t’es confrontée à à quelque chose de difficile d’emblée + après il y avait euh il y a peut-être une longueur du texte aussi

049

B(Stag)

oui je suis assez d’accord avec ça

 (chevauchements, incompréhensible : b(Stag) continue avec sa voisine)

050

AC(Stag)

qui pour eux a été a été un petit peu difficile mais d’un autre côté pour l’écrire c’était très difficile à segmenter à le réduire donc je pense que tu as eu deux difficultés euh dès le départ ç’a été :: un texte littéraire un texte long euh on ne les avait pas sensibilisés avant au réalisme donc donc est-ce que c’était pas très ambitieux au bout d’une heure de de déduire tu vois tou(tes) toutes les remarques du réalisme xx

051

ML(P)

ouais ouais xx

052

AC(Stag)

XX il y a déjà deux sens à faire avant du texte + euh qui est pas facile il faut vraiment rentrer dedans il y a tout un travail de de de… enfin je ne sais pas de débroussailler le texte avant + toi tu l’as fait mais c’est vrai qu’au bout ben au bout il aurait fallu pouvoir le reprendre et que ça fasse un deuxième cours quoi xxx

053

B(Stag)

où à la limite tu vois ↑ reprendre un petit bout + très réaliste et

054

AC(Stag)

oui

[…]

308

F(Stag)

la compréhension enfin travailler sur un texte au niveau de la compréhension je trouve que c’est c’est toujours difficile et à chaque fois qu’une d’entre nous a travaillé sur la compréhension soit sur un texte soit sur une image on a toutes trouvé ça extrêmement difficile donc + je ne sais pas si c’est :

309

CP1

d’accord donc le débroussaillage pour vous est :

310

F(Stag)

oui je je pense que oui c’est difficile =

311

CP1

= bon donc alors ça veut dire que vous vous en êtes bien tirées parce que c’était naturel ça :

[CC(ML)-2]

 

 

Dans cet extrait, l’une des collègues de Marie-Laure, AC(Stag), tente d’identifier l’origine de la stagnation survenue dans le cours (en gras) et lui donne conseil en soulignant l’importance qu’elle aurait dû accorder au débroussaillage du texte (à la fois en gras et en italiques), importance que Marie-Laure n’a pas pu reconnaître toute seule au moment de la préparation du cours. La reconnaissance de l’origine du problème ainsi que la nécessité du « débroussaillage » à faire préalablement au cours sont par la suite ratifiées par la conseillère pédagogique, qui en arrive, à la fin de l’entretien avec Marie-Laure, par penser que toutes les stagiaires ont finalement pu « bien s’en tirer » (en 309 et en 311) dans l’identification de la difficulté ressentie par les apprenants.

 

Un autre point de vue offert par le « collègue-objectivant » : l’objectivation de la subjectivité

 

L’interprétation d’un fait ou d’une instance langagiers n’est pas toujours la même entre ceux qui tentent de la réaliser. Dans l’interprétation intervient en effet la subjectivité de l’interprétant. Autrement dit, la description ainsi réalisée est souvent tributaire du point de vue de celui qui interprète l’objet.

 

La séance d’interview de type d’autoconfrontation permet à l’interviewé non seulement de revenir sur ce qui s’est passé en classe, de le décrire, de le commenter et par là de mettre au point son répertoire didactique en voie de développement. À la différence de l’autoconfrontation simple dans laquelle « le sujet devient lui-même un observateur extérieur de son activité en présence d’un tiers [en l’occurrence, d’un « expert »] » (Clot, 2005 : p. 49), l’autoconfrontation croisée, au même titre que l’interview croisée, réalise un contexte dans lequel des tierces personnes d’un niveau presque identique d’expertise donnent à l’interviewé des points de vue qui, bien que d’un niveau analogue d’expertise, ne sont pas les mêmes que celui de l’expert. On l’observe dans la séquence suivante, qui se déroule autour de l’interprétation des réactions des apprenants dans la classe :

 

 

Extrait 5

029

ML(P)

[…] il faut que il faut que j’apprenne + euh au niveau contact avec eux normalement justement je pense que j’ai certaines capacités (plus bas) et là aujourd’hui enfin ces capacités que je pensais avoir et alors euh j’ai commencé déjà à me dire je vais me focaliser sur autre chose euh + et je l’ai pas senti quoi (elle pleure)

030

CP1

mmh mmh (silence)

031

AB(Stag)

c’était le matin ils étaient xx (très bas)

032

B(Stag)

moi je suis moins moi j j’ai trouvé XX je n’ai pas trouvé qu’ils étaient euh ce que tu as ressenti je ne l’ai pas ressenti comme ça xx je les ai trouvés assez concentrés

033

AB(Stag)

oui

034

B(Stag)

je les ai trouvés aussi intéressés

035

AB(Stag)

très intéressés oui

036

B(Stag)

je n’ai pas je ne les ai pas du tout trouvés passifs bon ils se concentraient parce qu’effectivement il y a eu beaucoup de un texte qui était assez important il y avait plein de choses à comprendre mais euh moi j’ai plutôt senti qu’ils étaient ils avaient envie de comprendre et qu’ils étaient concentrés mais contrairement à ce que tu ressens moi je n’ai pas eu l’impression qu’ils étaient passifs ou qu’ils étaient embêtés le côté lourd que tu as ressenti à mon avis euh c’est tu as eu une impression d’un côté lourd mais je n’ai pas du tout ressenti comme ça crois-moi j’ai trouvé bon qu’ils suivaient qu’il y avait des difficultés de compréhension par moments mais que bon + ce n’était pas :

037

CP1

et puis c’était plus en diagonal eux aussi

[CC(ML)-2]

 

En revenant sur les réactions des apprenants vis-à-vis de la tâche pédagogique attribuée, Marie-Laure croit qu’elle n’a pas pu les sortir de leur inertie. Elle se sent ainsi déprimée en se disant qu’elle n’avait pas les capacités suffisantes pour gérer le contact avec eux (à la fois en gras et en italiques), ce à quoi les autres stagiaires, ab(Stag) et b(Stag), réagissent sans se mettre d’accord avec elle. La stagiaire b considère que les apprenants étaient non pas inertes, mais concentrés sur la tâche, cette interprétation étant approuvée par la stagiaire ab (en gras). En adressant des propos à Marie-Laure, ces deux autres stagiaires lui offrent un autre point de vue, en l’occurrence encourageant, qui consiste à objectiver son interprétation subjective des réactions des apprenants.

 

Pour conclure

 

Sujets participant au trilogue énonciativement complexe et praxéologiquement (Filliettaz, 2002) orienté dont la source de référence se distingue elle-même par la présence importante de la complexité énonciative, les collègues de l’enseignant stagiaire interviewé en situation d’interview croisée lui apportent un autre point de vue relatif à l’interprétation du dit et du fait produits dans la classe. Ils lui donnent ainsi l’occasion d’objectiver non seulement ce qui s’est produit en classe, mais aussi ce qu’il pense à cet égard au moment de l’interview. C’est l’occasion de s’objectiver ou d’objectiver sa subjectivité (Ishikawa, 2015 et 2016).

 

Cet autre point de vue, bien qu’il ne soit pas comparable à celui de l’« expert » ou d’un enseignant « chevronné » en matière de savoirs et de savoir-faire professionnels relatifs à l’enseignement des langues, n’en permet pas moins à l’enseignant « novice » de s’apercevoir de ce qu’il ne pourrait pas remarquer tout seul à l’égard du dit et du fait produits dans la classe. Non pas au titre de « diagnosticiens » experts, ni de vrais « conseillers » professionnels, mais de « collègues-objectivants » susceptibles de rencontrer des problèmes identiques au cours de la formation suivie, les pairs de l’enseignant stagiaire le secondent en effet dans l’objectivation de lui-même. En outre, ils peuvent aussi jouer vis-à-vis de leur collègue un rôle d’étayage lorsque ce dernier est découragé ou déprimé dans l’interview en revenant sur ce qu’il s’est passé dans la classe, tout particulièrement sur les réactions des apprenants.

 

De même que l’« expert », les collègues de l’enseignant « novice » lui fournissent un « point de fixation » (Faïta & Vieira, op. cit. : p. 67) du sens de sa vie professionnelle, point autre que le sien et qui lui permet de se libérer d’une idée quelquefois subjectivement trop biaisée sur le dit et le fait produits dans la classe ainsi que sur ce qu’ils pensent par rapport à ces derniers.

 

 

Références

Amigues, R. (2003). Pour une approche ergonomique de l’activité. Skholê, hors-série 1, 5-16.

Bakhtine, M. (1929). Le marxisme et la philosophie du langage. Essai d’application de la méthode sociologique en linguistique. Paris, France : Les Éditions de Minuit, coll. : « Le sens commun » (trad. française de M. Yaguello, 1977).

Bakhtine, M. (1975). Esthétique et théorie du roman. Paris, France : Éditions Gallimard, coll. : « Tel » (trad. française de D. Olivier, 1978).

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Annexes

 

Constitution du corpus

 

Le corpus est constitué par des données verbales du type entretien d’explicitation croisée, récoltées et transcrites en 2001 par l’unité de recherche IDAP (« Interactions Didactiques et Agir Professoral ») – dénommée à l’époque « Discours d’enseignement et interactions » – du laboratoire DILTEC (« Didactique des Langues, des Textes et des Cultures ») à l’Université Paris III-Sorbonne nouvelle. Nous participons à cette équipe depuis sa création. Cet ensemble des données collectées alors est baptisé Corpus « Marie-Laure »12 . Dans le présent article, nous nous référons à deux séries d’entretien constituant ce corpus, dont l’une a été collectée à l’issue du cours de grammaire dispensé par l’enseignante stagiaire Marie-Laure (Corpus « Marie-Laure » : CC(ML)-1) et l’autre, après le cours dans lequel la même stagiaire parle du roman d’Émile Zola : Thérèse Raquin (Corpus « Marie-Laure » : CC(ML)-2).

 

Conventions de transcription

 

Nous adaptons les conventions de transcription construites par l’équipe « Discours d’enseignement et interactions ». Les conventions de transcription sont les suivantes :

 

CP1

Conseillère pédagogique 1.

ML(P)

Marie-Laure (Professeur) : initiale du prénom de la stagiaire lorsquelle enseigne et pendant la séance de commentaires qui concerne sa performance enseignante.

ML(Stag)

Marie-Laure (Stagiaire) : initiale du prénom de la stagiaire lorsquelle participe à la séance de commentaires qui concerne une autre enseignante-stagiaire.

des JEUX

Les majuscules indiquent la mise en valeur dune ou plusieurs syllabes par un accent dintensité et/ou par une montée brusque de la hauteur éventuellement accompagnée(s) dun allongement.

un extrait de

Demande dachèvement. 

tou(tes)

Partie qui nest pas prononcée.

+

Pause (++ / +++ pauses plus longues). Pour les pauses très longues, la durée est indiquée entre parenthèses.

euh :

Allongement de la syllabe.

euh :::

Allongement plus long de la syllabe.

XXX

Séquence inaudible.

    B(Stag) : très réaliste et

    A(Stag) : oui

Les mots soulignés indiquent la partie des énoncés qui se chevauchent.

    CP : voilà =

    P(ML) : = oui oui

Marie-Laure enchaîne immédiatement, sans la moindre pause sur les paroles de la conseillère pédagogique.

(brouhaha)

entre ( ) : description d’éléments non verbaux ou para-verbaux, ou commentaire de type méta.

Intonation montante.

 

 

Le présent article s’inscrit dans le développement de la réflexion que nous avons présentée à l’oral à l’occasion des 4èmes Rencontres internationales de l’Interactionnisme socio-discursif : « Activités, langues et textes : leur dynamique interactive et ses effets », organisées à l’Université de Genève (Genève) par le groupe : ISD (Interactionnisme Socio-Discursif), 17-19 juillet 2013. Le texte de cette communication est inédit en absence d’actes. Le développement de notre réflexion initiale est effectué avec l’Aide pour la Recherche Scientifique (Grant-in-Aid for Scientific Research (KAKENHI) : Aide pour la Recherche Scientifique (C) (Grant-in-Aide for Scientific Research (C))) offerte par la Société Japonaise pour la Promotion des Sciences (J.S.P.S.) en 2018 (no. de recherche : 18K00797). La recherche est intitulée : « Recherche sur les répertoires cognitifs de l’enseignant et de l’apprenant de FLE du point de vue de l’analyse de l’interaction verbale ».

 

 

1 Doctorat en didactologie des langues et des cultures. Membre associé à l’IDAP-DILTEC (EA2288)

E-Mail: fumiya@rikkyo.ac.jp ORCID: https://orcid.org/0000-0003-4036-2383

 

2 En est un événement commémoratif la Journée scientifique : « La construction d’un répertoire didactique. Analyse des interactions et des discours produits en situation de formation à l’enseignement du fle », organisé à l’Université Paris III par le groupe de recherche dénommé alors « Discours d’enseignement et interactions » (dirigé par F. Cicurel) du centre de recherche delca (« Discours d’Enseignement, Langues en Contact, Appropriations »)-syled (« Systèmes Linguistiques, Énonciation et Discursivité ») de cette université le 12 février 2004. Pour les répercussions de la psychologie cognitive sur la recherche de l’agir professoral, voir Filliettaz (2005 et 2007).

 

3 En rapprochant l’interaction didactique qu’un enseignant stagiaire de fle mène avec les étudiants en classe d’une part et l’entretien d’autoconfrontation croisée qu’il subit postérieurement à cette classe d’autre part, nous avons mis à jour quelques-unes des valeurs formatives du discours du conseiller pédagogique (Ishikawa, 2012).

 

4 Notons que sans l’aide de la vidéo, notre corpus n’est pas de caractère d’autoconfrontation au sens strict du terme. Pourtant, l’interview est effectuée auprès du sujet interviewé en présence de pairs ayant observé son travail.

 

5 Après avoir été récoltées et construites en 2001 par le groupe « Discours d’enseignement et interactions », les données sont stockées et répertoriées par son successeur idap. Voir aussi les Annexes.

 

6 L’ensemble du corpus est constitué de trois enregistrements audio de classes de langue dispensées par l’enseignante stagiaire, ainsi que de trois entretiens de type d’autoconfrontation croisée effectués auprès d’elle par deux conseillères pédagogiques, enregistrés elles- aussi avec un magnétophone. Dans le cadre de la présente recherche, nous examinons notamment deux séances d’interviews entre les trois partis.

 

7 Bakhtine distingue dialogues « externe » et « interne ». Le dialogue « externe » renvoie à un « échange [verbal] àhautevoix et impliquant des individus placés face à face » (Bakhtine, 1929, trad. française 1977 : p. 136), alors qu’un dialogue devient « interne » lorsqu’il s’oriente vers un « déjà dit », un « connu » et l’« opinion publique », c’est-à-dire vers des discours précédemment tenus. Chez Bakhtine, un tel discours est appelé « dialogique » (ibid.).

 

8 Selon Bakhtine (1929), « on peut comprendre le mot « dialogue » dans un sens élargi, c’est-à-dire non seulement comme l’échange à haute voix et impliquant des individus placés face à face, mais tout échange verbal, de quelque type qu’il soit » (ibid., trad. française 1977 : p. 136). Voir aussi la note 6 pour la notion de dialogue « interne ».

 

9 La conception bakhtinienne est radicale : « seul Adam-le-solitaire pouvait éviter totalement cette orientation dialogique sur l’objet avec la parole d’autrui » (Bakhtine, 1975, trad. française 1978 : p. 102).

 

10 C’est donc une situation « praxéologiquement polyphonique » (Filliettaz, 2002).

 

11 Dans la présente recherche, nous transcrivons les paroles examinées dans les extraits soit en gras, soit en italiques, soit les deux. Pour les conventions de transcription, voir l’annexe.

 

12 Pour la présentation plus détaillée du corpus, voir Ishikawa (2012a : pp. 248-257).