Publicado

2021-10-05

La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas

The Production of Moral Emotions in Pentecostalism and its Political Consequences

DOI:

https://doi.org/10.15446/cp.v16n31.97630

Palabras clave:

Contrasecularización, Glosolalia, Habitus, Capital política, Emociones reflexivas (es)
Counter-secularization, Glossolalia, Habitus, Political Capital, Reflexive Emotions (en)

Autores/as

  • Lancelot Claret-Trentelivres Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris, France.

El pentecostalismo nació a principios del siglo XX como reacción a la secularización que afectaba al protestantismo a eso tiempo. Dirigiéndose inicialmente a los dominados de la sociedad burguesa, a las mujeres y a las clases trabajadoras, invirtió entonces las emociones devaluadas por la moral burguesa. Su culto carismático, centrado en la glosolalia, que parece dar rienda suelta a las emociones, es en realidad un sistema de incorporación de emociones morales que da lugar a un hábito ascético entre los fieles. A partir de los años 70, la revalorización de las emociones en la cultura dominante llevó a una parte de las clases medias a incorporarse progresivamente al pentecostalismo. Esta renovación de la composición social del pentecostalismo le llevó a entrar en el campo político, con poco éxito en primer lugar a causa de la división del movimiento en denominaciónes competidoras. El plebiscito por la paz entre el gobierno colombiano y las FARC en octubre de 2016 es un primer ejemplo de la conversión del habitus moral pentecostal en una disciplina electoral.

Pentecostalism was born at the beginning of the 20th century as a reaction to the secularization of Protestantism. Initially aimed at the dominated members of bourgeois society, women and the working classes, Pentecostalism invested the devalued emotions. His charismatic cult, centered on glossolalia, which seems to give free rein to emotions, is in fact a system of incorporating moral emotions which provoke an ascetic habitus among the faithful. From the 1970s onwards, the revaluation of emotions in the dominant culture led part of the middle classes to gradually rally to Pentecostalism. This renewal of the social composition of Pentecostalism led it to enter the political field, with initially mixed success due to the division of the movement into competing churches. The referendum for peace between the Colombian government and FARC in October 2016 is a first example of the conversion of the Pentecostal moral habitus into electoral discipline.

Recibido: 31 de diciembre de 2020; Aceptado: 26 de mayo de 2021

Résumé

Le pentecôtisme nait au début du XXe siècle en réaction à la sécularisation qui touche alors le protestantisme. S’adressant dans un premier temps aux dominés de la société bourgeoise, les femmes et les classes populaires, il investit les émotions alors dévalorisées. Son culte charismatique, centré sur la glossolalie qui semble laisser libre cours aux émotions, est en réalité un système d’incorporation d’émotions morales qui suscitent un habitus ascétique chez les fidèles. À partir des années 1970, la revalorisation des émotions dans la culture dominante conduit une partie des classes moyennes à se rallier progressivement au pentecôtisme. Ce renouvellement de la composition sociale du pentecôtisme l’amène à investir le champ politique, avec un succès d’abord mitigé du fait de la division du mouvement en Églises concurrentes. Le référendum pour la paix entre le gouvernement colombien et les FARC en octobre 2016 est un premier exemple de conversion de l’habitus moral pentecôtiste en discipline électorale.

Palabras clave: Mots-clefs:, Contre-sécularisation, glossolalie, habitus, émotions réfléchies, capital politique.

Abstract

Pentecostalism was born at the beginning of the 20th century as a reaction to the secularization of Protestantism. Initially aimed at the dominated members of bourgeois society, women and the working classes, Pentecostalism invested the devalued emotions. Its charismatic cult, centered on glossolalia, which seems to give free rein to emotions, is in fact a system of incorporating of moral emotions which provoke an ascetic habitus among the faithful. From the 1970s onwards, the revaluation of emotions in the dominant culture led part of the middle classes to gradually rally to Pentecostalism. This renewal of the social composition of Pentecostalism led it to enter the political field, with initially mixed success due to the division of the movement into competing churches. The referendum for peace between the Colombian government and FARC in October 2016 is a first example of the conversion of the Pentecostal moral habitus into electoral discipline.

Palabras clave: Counter-secularization, Glossolalia, Habitus, Political Capital, Reflexive Emotions.

Dans un article précurseur, Jean-Paul Willaime proposait en 1999 de définir le pentecôtisme comme un « protestantisme émotionnel » (Willaime, 1999). Depuis lors, la question du rôle exact que jouent les émotions dans le pentecôtisme a fait l’objet de nombreux travaux, notamment ceux de Yannick Fer (Fer, 2005, 2010, 2014) et de Philippe Gonzalez (Gonzalez, 2010, 2019). La définition proposée par Willaime n’a cessé de démontrer son acuité : à l’époque de sa formulation elle avait déjà un double intérêt, d’une part d’offrir une alternative au concept vieillissant de religion populaire et ainsi de renouveler l’historiographie du pentecôtisme comme « bricolage religieux » peu digne d’être étudié de près (Bastian, 1994, p. 270). D’autre part, elle revalorisait l’étude des émotions dans les sciences sociales appliquées à l’objet religieux.

Plus de vingt ans après cette définition novatrice, les pentecôtistes sont désormais plus de 279 millions à travers le monde et la captation de leurs voix s’est révélée comme un enjeu crucial de plusieurs élections récentes, notamment au Brésil, aux États-Unis ou au Nigéria. Par ailleurs, les vingt dernières années ont aussi vu un fort développement des études en sciences politiques sur l’impact des émotions dans les mouvements sociaux et les comportements électoraux (Jasper, 2012). Au croisement de ces deux domaines d’investigation, il semble tout à fait à propos de s’interroger sur la place des émotions dans l’identité religieuse et politique pentecôtiste. Cela d’autant plus qu’une enquête de terrain effectuée l’année dernière en Colombie a confirmé que le caractère émotionnel du pentecôtisme n’est pas seulement identifié par les chercheurs, mais aussi revendiqué par les acteurs eux-mêmes, à l’image de Jeferson, pasteur et théologien des Asambleas de Dios de Colombia, qui en témoigne dans notre entretien :

Le pentecôtisme est anti-intellectualiste. C’est-à-dire que tout ce qui renvoie à la pensée académique est considéré comme suspect […], il s’oppose au cartésianisme occidental, mais il pense qu’il peut avoir un autre type de science, à partir des émotions, du populaire [...] Nous faisons aussi de la théologie, mais nous avons une sensibilité différente. (Claret-Trentelivres, 2020, p. 88)

Tout l’enjeu politique de l’électorat pentecôtiste dans les années à venir est sa constitution ou non en un bloc unifié et durable. Si un tel phénomène se réalise, malgré la division actuelle du mouvement, ce sera par l’élaboration d’une identité commune, raison pour laquelle il est important d’étudier les balbutiements de celle-ci. D’où vient cette appropriation pentecôtiste des émotions et quelles en sont les conséquences politiques ? Pour essayer de le comprendre, il faut commencer par revenir sur la longue tradition de marginalité sociale et politique du pentecôtisme, qui explique en partie le succès que connait le mouvement aujourd’hui.

Histoire des émotions, genèse du pentecôtisme

Le pentecôtisme nait à la fin du Troisième Grand Réveil du protestantisme étatsunien, pendant la première décennie du XXe siècle. Il est issu d’une branche dissidente du méthodisme, le Mouvement de Sanctification (Holliness movement), qui entend combattre la sécularisation à l’œuvre dans le protestantisme étatsunien de la fin du XIXe siècle, sous l’influence des universités allemandes et britanniques (Fer, 2014, p. 315). Pour endiguer la diffusion du rationalisme, de l’évolutionnisme darwinien et des lectures historico-critiques de la Bible, des méthodistes du Sud et du Midwest des États-Unis se regroupent en « mouvements de sanctification ». Ce faisant, ils entendent renouer avec une piété d’autrefois et trouver une nouvelle bénédiction capable de répondre aux défis de la modernité. Ils fondent des « écoles bibliques de sanctification », et c’est au sein de l’une d’elles que commence l’histoire du pentecôtisme en 1901, avec le réveil spirituel initié par le pasteur Charles Fox Parham (1873-1929) au Bethel Bible College de Topeka (Goff, 1988). Le 1er janvier 1901 une de ses élèves, Agnes Ozman, se sentant inspirée par l’Esprit saint se met à parler dans une langue inconnue. Cet événement, considéré a posteriori comme l’acte de naissance du pentecôtisme, est interprété par Parham comme un cas de glossolalie, qui devient l’élément central de cette nouvelle forme de christianisme évangélique. Parham considère avoir trouvé la nouvelle bénédiction que le Mouvement de Sanctification cherchait : pour contrecarrer la rationalisation du religieux, le pentecôtisme délaisse la théologie au profit de l’expérience spirituelle, la glossolalie devient le symbole du rapport personnel et émotionnel qu’il veut instaurer entre le fidèle et Dieu.

Dès ses origines, le mouvement pentecôtiste rencontre un grand succès auprès des femmes auxquelles il accorde de nombreuses responsabilités dans le culte, davantage que dans les autres confessions évangéliques. Très vite, il recrute aussi beaucoup de fidèles au sein des populations les plus pauvres, notamment afro-américaines, à partir du ralliement du pasteur noir William J. Seymour, second père du pentecôtisme et fondateur de la célèbre communauté d’Azusa Street. Le pentecôtisme à ses débuts se caractérise donc comme une religion de marginaux, et même lorsqu’il s’exporte après 1906 et qu’il devient un « phénomène religieux transnationalisé » (Corten, 1995, p. 70), il rencontre davantage de succès dans les pays colonisés ou anciennement colonisés, et en leur sein, auprès de leurs populations les plus pauvres. Lorsque le pentecôtisme arrive en Amérique Latine quelques années seulement après le Réveil d’Azusa Street, ce n’est pas dans la minorité des protestantismes historiques qu’il recrute ses fidèles. Jean-Pierre Bastian insiste sur la différence entre les luthériens et calvinistes latino-américains qui appartiennent à la frange libérale de l’élite culturelle et économique, et le pentecôtisme, cet « autre protestantisme, sectaire et millénariste [qui] s’amplifia parmi les pauvres et les marginaux de la région » (Bastian, 1994, p. 181). C’est parmi la minorité évangélique sud-américaine que le pentecôtisme recrute ses premiers fidèles sur le continent, mais dans la rupture plutôt que dans la continuité. L’apparition des premières pratiques de glossolalie pentecôtiste au Chili en 1909 conduit immédiatement à un schisme au sein de l’Église méthodiste de Valparaiso, relaté dans le journal El Mercurio :

À Valparaiso un certain scandale s’est produit autour d’un groupe de fanatiques […] qui se consacrent à des actes d’exaltation fanatique et prétendent obtenir des visions, guérir et faire tout ce qui est habituel dans ce genre de maladie mentales. Le groupe s’est séparé d’une Église méthodiste, dont les dirigeants ont réprouvé le mouvement, comme il était logique, pour être contraire au véritable sentiment religieux, à la culture et surtout, à l’essence du protestantisme. Mais les réunions se poursuivent et en particulier des « nuits de veille » se célèbrent avec des rites étranges, du sang d’agneau, des transes, des expulsions de démons, des apparitions et autres étrangetés et accidents hystériques communs parmi les gens qui tombent dans ce type d’exaltations. (Salinas, 1987, pp. 255-256)

Cet extrait d’article est intéressant à plus d’un titre pour comprendre les origines du pentecôtisme en Amérique latine. Il témoigne la rupture qu’opère le pentecôtisme par rapport au protestantisme évangélique, rupture à la fois institutionnelle et théologique. Rupture institutionnelle puisqu’il y a un schisme : « le groupe s’est séparé d’une Église méthodiste […] mais les réunions se poursuivent » (Salinas, 1987, pp. 255-256). Charles Parham a quitté l’Église méthodiste pour réaliser son réveil, de la même façon ici, un groupe de méthodistes chiliens fait sécession pour fonder une Église pentecôtiste. Le schisme repose sur un « scandale » qu’il faut comprendre ici dans son sens théologique, c’est-à-dire une pierre d’achoppement doctrinale. L’Église méthodiste ne reconnait pas la prédication sous influence divine directe à la différence de Parham et Seymour, ce qui a valu à ce dernier d’être exclu de la communauté méthodiste de Los Angeles (Espinosa, 2014, p. 53). Si la prédication sous inspiration divine directe est si importante pour le pentecôtisme malgré son manque d’appétence pour les constructions théologiques, c’est parce que c’est la croyance en l’inspiration divine directe qui légitime la pratique de la glossolalie. C’est à cette croyance pentecôtiste que renvoie le journaliste lorsqu’il parle de « visions » et d’« apparitions », tandis que « transe » désigne la glossolalie. La majorité de la communauté méthodiste de Valparaiso en 1909 refuse donc d’adopter la pratique de la glossolalie, ce qui montre son caractère inédit et polémique, et ce qui conduit la minorité « émotionnelle » à faire sécession.

Pourquoi une telle polémique autour de la glossolalie ? Le ton hautement dépréciatif de l’article nous fournit un élément de réponse. Le journal dont est tiré l’article, El Mercurio, n’est pas confessionnel et devrait donc rester objectif dans son récit du schisme de l’Église méthodiste ; pourtant il n’hésite pas à faire preuve d’un profond mépris pour le pentecôtisme. Pour comprendre cette hostilité il faut replacer le pentecôtisme dans le contexte du processus de formalisation des mœurs et de disciplinarisation des individus décrit par Norbert Elias et dont l’analyse a été étendue à la période contemporaine par Cas Wouters. Selon lui, les relations commerciales et les professions libérales – activités phares des classes bourgeoises – dépendent fortement de la capacité des individus à tenir leurs promesses ainsi que de la régulation pointilleuse des rapports sociaux et des comportements ; par conséquent, alors que triomphe la société bourgeoise au XIXe siècle, une morale de l’autocontrôle devient hégémonique (Wouters, 2010, pp. 165-166). Ce n’est pas un hasard en effet si l’époque victorienne – âge d’or de la bourgeoisie – idéalise le flegme, valeur qui renvoie selon Wouters à un autocontrôle ritualisé. La seconde moitié du XIXe siècle est le temps du progrès technique et de la domestication de la nature : sur le plan psychologique cette dynamique entraîne une très forte valorisation de la raison – instrument du progrès – et une dépréciation des émotions considérées comme imprévisibles, dangereuses et héritées de la nature animale de l’homme qui doit elle aussi être domestiquée et remplacée par une « seconde nature » rationnelle et civilisée. Les émotions sont donc associées aux groupes dominés de la société bourgeoise : les ouvriers inéduqués, soumis à leurs pulsions et fomentateurs de désordre social, et les femmes que l’on considère à l’époque plus émotives par nature que les hommes.

Anne Vincent-Buffault a montré comment la seconde moitié du XIXe siècle est l’époque où les larmes et autres démonstrations émotives sont exclues de la scène publique et reléguées dans la sphère privée, et par là même associées à la féminité, vue alors comme le principe ordonnateur du foyer et de l’intime. La sensibilité, valorisée dans la première moitié du XIXe siècle comme l’attribut masculin de l’artiste romantique, devient la sensiblerie propre aux « bonnes femmes » et aux hystériques (Vincent-Buffault, 1986, p. 9). C’est ce même vocabulaire dépréciatif des émotions, qui les associe à un comportement débridé voire pathologique, que reprend le journaliste du Mercurio pour décrire le culte pentecôtiste à Valparaiso : « fanatique », « maladie mentale », « hystériques », « exaltation ». El Mercurio est un journal conservateur qui s’adresse à un public bourgeois, ce n’est de toute évidence pas le contenu théologique du pentecôtisme qui suscite l’hostilité du journaliste, mais sa valorisation à contre-courant des émotions qui le rend socialement transgressif. Puisqu’il va à l’encontre des mœurs dominantes, le culte émotionnel du pentecôtisme rencontre du succès auprès des laissés-pour-compte de la société bourgeoise : les classes populaires, les femmes, mais aussi les populations colonisées ou anciennement colonisées. À son arrivée sur le sol sud-américain il recrute parmi les marginaux, comme le dit Jean-Pierre Bastian, et à la différence d’autres christianismes évangéliques qui se diffusent sur le continent par l‘intermédiaire de missionnaires nord-américains, le pentecôtisme est vite approprié par les populations locales qui assurent sa diffusion. La relative simplicité théologique du pentecôtisme lui permet d’être rapidement assimilé par les convertis, dont certains deviennent pasteurs et convertissent à leur tour de nouveaux fidèles, indépendamment des missions nord-américaines. Outre cette accessibilité théorique, le contenu de croyance du pentecôtisme fait écho à certaines formes de religiosité émotives du catholicisme populaire latino-américain (Beltrán, 2013, p. 129), facilitant ainsi la conversion d’une partie des classes populaires. C’est cette tradition émotionnelle du catholicisme populaire latino-américain qui explique en partie le succès que le pentecôtisme rencontre sur le continent, comme le dit le pasteur Jeferson :

Nous les pentecôtistes, avons le sentiment qu’il nous faut prendre nos distances avec le protestantisme évangélique, car nous avons une sensibilité différente. Celle d’un courant spirituel qui te connecte directement avec Dieu, de manière corporelle. Ça ce n’est pas très présent dans le protestantisme, dans le catholicisme oui, mais seulement dans le catholicisme populaire. Mais le pentecôtisme est aussi un mélange avec les traditions africaines par exemple. Je crois qu’en Amérique Latine nous avons une plus grande sensibilité avec le corps : la musique, les pleurs... Cela nous vient de notre culture indigène et catholique populaire, les chamanes ici soignent avec les mains, c’est très proche du pentecôtisme. (Claret-Trentelivres, 2020, pp. 85-86)

Cette religiosité émotive est présente dans la culture populaire latino-américaine au début du XXe siècle ; lorsque le pentecôtisme arrive sur le continent, elle forme l’identité religieuse des populations défavorisées, lieu par excellence du métissage ethnique et culturel. Elle est tolérée – dans une certaine mesure – par l’Église catholique, mais reste un marquage culturel dévalorisé par la culture dominante. La minorité protestante historique en revanche, qui se caractérise par son appartenance à l’élite économique réformiste (Bastian, 1993, p. 216), a complètement intégrée la « seconde nature » comme le reste des élites bourgeoises occidentalisées. Le journaliste du Mercurio décrit le pentecôtisme comme « contraire au véritable sentiment religieux [...] et, surtout à l’essence du protestantisme » (Salinas, 1987, pp. 255-256), cette condamnation du pentecôtisme comme religiosité rétrograde rappelle le jugement de Max Weber – strictement contemporain rappelons-le – qui voit dans le type charismatique de religiosité auquel appartient le pentecôtisme, un enthousiasme qui abolit toute forme de délibération rationnellement réglée et qui s’oppose ainsi au processus historique d’élaboration symbolique, d’institutionnalisation et de rationalisation éthique, qui mène à la modernité (Weber, 1964).

Le nombre de pentecôtistes latino-américains augmente de façon lente mais continue pendant la première moitié du XXe siècle, puis sa croissance connait une très forte accélération à partir des années 1970, qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Comment expliquer cette multiplication soudaine des conversions ? Pendant toute la première moitié du XXe siècle le pentecôtisme fait partie de ce que Peter Berger appelle les mouvements de contre-sécularisation qui recrutent parmi les laisséspour-compte de la société bourgeoise (Berger, 1999, p. 3). Mais à partir des années 1920-1930, la survalorisation de la maitrise de soi commence peu à peu à perdre du terrain. La poursuite de l’industrialisation transforme les modes de vie et la séparation stricte du XIXe siècle entre classe dominante rentière et classes dominées laborieuses s’étiole. L’organisation du travail change, les transports en commun se développent : désormais la distanciation sociale entre l’entre-soi dominant et le reste de la société devient plus difficile à maintenir et, par conséquent, les signes d’appartenance commencent à s’atténuer (Wouters, 2010, p. 170). Parallèlement l’enrichissement général de la société conduit à l’intégration de plus en plus grande d’une partie de la classe moyenne enrichie, ce qui modifie les processus de distinction : à la rivalité de rigueur dans sa maitrise de soi succèdent des processus d’hypocorrection contrôlée (Bourdieu, 1980) qui visent à montrer qu’on possède si bien les codes qu’on se permet d’être par moment désinvolte et émotif. Ce processus d’émancipation progressive des émotions s’accélère avec la crise – parmi les métarécits de la modernité – de la confiance en la rationalité (Lyotard, 1979). À partir de la fin des années 1960, le processus d’individuation passe à une nouvelle étape, que Wouters appelle la « troisième nature » (Wouters, 2010, p. 173). La modernité occidentale a voulu maîtriser et « civiliser » la nature humaine en même temps qu’elle maîtrisait le milieu naturel et « civilisait » les peuples colonisés ; elle a cherché à remplacer ce qu’elle se figurait comme la nature humaine initiale par une « second nature » rationnelle et maîtresse de ses instincts. Une fois le système de contrôle incorporé, on passe au « relâchement contrôlé » : la postmodernité valorise l’expression des émotions non pas comme pulsions irrépressibles, mais comme une libre expression de l’intériorité. À partir des années 1970, l’émotivité est revalorisée par les classes dominantes, ce qui se traduit dans le christianisme par une réappropriation de la religiosité émotionnelle reléguée dans le pentecôtisme par les autres Églises protestantes et par l’Église catholique. Malgré cette nouvelle concurrence, cette revalorisation de l’émotion dans la religion favorise le pentecôtisme : sa religiosité émotionnelle cesse d’être considérée comme transgressive, et sa longue expérience des pratiques charismatiques le rend plus attractif que les autres Églises qui sont en pleine restructuration.

En Amérique latine, l’attractivité du pentecôtisme et de sa solidarité communautaire est d’autant plus grande que les institutions politiques sont gravement mises à mal par les dictatures militaires et les guérillas. Au tournant des années 1960-1970 le Brésil, l’Argentine, le Chili, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie sont sous le coup de régimes dictatoriaux tandis que le Pérou et la Colombie sont déchirés par la guerre civile. Le modèle démocratique libéral est dans l’impasse et l’alternative socialiste condamnée par la chape de plomb de l’anticommunisme. À cela s’ajoute une crise économique et sociale : l’industrialisation désorganise la société rurale traditionnelle et conduit à la paupérisation, l’exode rural et le développement de l’habitat urbain informel. Dans cette situation de perte de repères à laquelle le politique n’est pas en mesure d’offrir des solutions, le religieux se voit mobilisé pour répondre au besoin d’encadrement et pour gérer les repositionnements sociaux nécessaires pour s’adapter aux nouvelles structures sociales (Garcia-Ruiz et Michel, 2012, p. 138). Un pasteur pentecôtiste colombien interrogé par A. M. Pereira Souza raconte qu’il s’est converti à cette période pendant laquelle il cherchait désespérément des solutions à son mal-être social : « Me sentí mal, moralmente, económicamente, y vi la necesidad de un cambio. Pensé en la política y no lo encontré, pensé en el suicidio, en la religión » (Pereira, 1996, p. 6).

La crise des institutions politiques conduit donc les populations en perte de repères à se tourner vers les institutions religieuses, cependant l’Église catholique traverse elle aussi une crise. Elle est profondément divisée entre sa hiérarchie traditionnellement alliée aux classes dirigeantes conservatrices et la frange progressiste des théologiens de la libération, associée à l’alternative socialiste et donc réprimée pareillement. Face à une Église catholique divisée, le pentecôtisme apparaît comme d’autant plus dynamique qu’avec le changement de paradigme de la « troisième nature », la religiosité émotive devient un facteur d’adaptation à la culture globale.

Émotions pentecôtistes et normes incorporées

Comment un culte qui repose sur l’apparente libre expression émotionnelle peut-il adapter celle-ci à une série de normes ? Pour le comprendre, il faut se libérer de la vision traditionnelle de l’émotion comme libre expression de soi. Qu’est-ce qui provoque l’émotion chez le fidèle pentecôtiste ? C’est la capacité du pasteur à communiquer avec la divinité et à manifester la présence efficace du divin, qui crée une forte émotion chez le fidèle d’un culte charismatique comme l’est le pentecôtisme (Willaime, 1999, p. 14). Cette économie affective s’organise autour de la croyance en la communication avec l’Esprit saint, mais pour Yannick Fer, ce n’est pas l’expérience de communication qui produit des émotions religieuses, au contraire il affirme que c’est parce que ces émotions ont été préalablement incorporées par le croyant qu’il peut faire l’expérience religieuse de la communication (Fer, 2014, p. 322). Les émotions ne sont pas aléatoires et irrationnelles, elles sont des réponses brèves dans le temps qui varient selon l’interprétation individuelle de chaque situation et qui complètent les réflexions à long terme. Elles servent à alerter les individus sur les faits ou les conditions sociales qui nécessitent une transformation, les préparant ainsi à résoudre les problèmes ou saisir les opportunités qui découlent des interactions sociales (Becerra, 2016, pp. 8-9). Les prières pentecôtistes en langues ne sont pas des transes inconscientes et incontrôlables, mais un moyen pour le croyant d’exprimer ses préoccupations personnelles et de recevoir une réponse de la communauté. Par conséquent, l’émotion religieuse pentecôtiste n’est pas une expression spontanée, mais une pensée incorporée, produite par des dispositifs spécifiques de socialisation et d’apprentissage. Dans l’effervescence collective du culte pentecôtiste, chaque croyant se sent en communication directe avec Dieu, de sorte que chacun partage une émotion religieuse, et que l’expérience affective partagée est perçue par les croyants comme le signe de la présence effective du divin. La prière en langues semble donc être l’expression non pas d’une affectation spontanée, mais d’un système de croyance centré sur la relation intime entre Dieu et l’individu. Pour décrire l’émotion pentecôtiste, Y. Fer reprend la différenciation que fait Michele Z. Rosaldo entre la pensée et l’affect :

What distinguishes thought and affect, differentiating a “cold” cognition from a “hot”, is fundamentally a sense of the engagement of the actor’s self. Emotions are thoughts somehow “felt” in flushes, pulses, “movements” of our livers, minds, hearts, stomachs, skin. They are embodied thoughts, thoughts seeped with the apprehension that “I am involved”. (Rosaldo, 1984, p. 143)

Cette vision de l’émotion comme une pensée impliquante pour celui qui la formule correspond parfaitement au phénomène observé au sein du culte pentecôtiste. Chaque fidèle se sent personnellement impliqué par ce qu’il perçoit comme la présence de Dieu dans l’assemblée. La construction de cette relation perçue comme directe avec le divin nécessite un travail institutionnel de socialisation et de cadrage, mais qui doit rester invisible sans quoi la relation entre le croyant et Dieu n’apparaîtrait pas plus directe. En rendant sa médiation invisible, l’institution pentecôtiste s’inscrit dans la tendance à la délégitimation du rôle de médiation des institutions religieuses au XXe siècle, que Danièle Hervieu-Léger décrit comme le « déplacement de la référence à l’autorité, dont l’axe passe des organismes religieux à l’individu lui-même, responsable de son propre cheminement spirituel » (Hervieu-Léger, 2001, p. 124). Mais ce changement ne signifie pas que toute la réglementation institutionnelle du religieux disparaît, plutôt qu’elle se recompose. Le discours pentecôtiste incite chaque croyant à comprendre les déclarations générales comme un discours divin qui lui est personnellement destiné ; par exemple, la conversion n’est pas présentée comme l’entrée des fidèles dans une institution religieuse, mais comme le moment où chaque fidèle répond à l’appel individualisé de Dieu et ouvre son cœur à Jésus (Fer, 2014, p. 324). Des paraboles très générales, prononcées par le pasteur ou par l’interprète de la glossolalie, sont reçues par les croyants comme un avertissement ou un conseil de Dieu dont ils sont les destinataires directs. Par conséquent, si l’on suit la définition que propose Michelle Rosaldo de l’émotion comme une pensée incarnée impliquant le sujet, le culte pentecôtiste fonctionne par la production d’émotions chez ses fidèles. Le travail institutionnel reste invisible car le croyant considère avoir une relation personnelle et directe au divin, cependant les messages et enseignements divins qu’il reçoit passe en réalité par la médiation institutionnelle de l’interprétation des glossolalies. Grâce à des exercices réguliers, des échanges avec son pasteur et des programmes de « formation à la vie chrétienne », le croyant apprend à « écouter la voix de Dieu » qui devient une seconde conscience, comme le dit une fidèle des Assemblées de Dieu interrogée par Yannick Fer :

Il est là, et quand vous allez faire quelque chose qui n’est pas conforme à la parole de Dieu, il va vous montrer, vous prévenir que non, ce n’est pas comme ça. C’est plus que la conscience, le Saint-Esprit dans une vie. (Fer, 2005, p. 17).

Cette « seconde conscience » est une série de normes morales incorporées par le fidèle pentecôtiste, mais qui ne sont pas identifiées comme telles par ce dernier qui y voit l’action directe du Saint-Esprit sur sa conscience. Selon la typologie des émotions établie par James Jasper, le travail institutionnel pentecôtiste sur les émotions n’agit ni sur les pulsions ni sur les émotions réflexes, mais sur les émotions réfléchies. Ces émotions réfléchies constituent pour Jasper l’arrière-plan sur lequel s’élaborent les états d’esprit et les émotions réflexes ; il existe deux types d’émotions réfléchies (Jasper, 2012, p. 50). D’une part les loyautés, qui sont des attachements ou des aversions (amour, sympathie, confiance, etc., et leurs équivalents négatifs), c’est-à-dire des évaluations cognitives qui guident nos actions dans nos rapports aux autres. D’autre part les émotions morales, qui sont des sentiments d’approbation ou de rejet fondés sur l’intuition ou les principes moraux inculqués, selon lesquels une action est valorisée positivement ou négativement. Le témoignage recueilli par Yannick Fer illustre parfaitement le concept d’émotion morale de Jasper : les prêches, les chants, les formations à la vie chrétienne inculquent au converti de nouveaux principes moraux, qui s’expriment ensuite en lui par le truchement des émotions morales et qui guident ses choix. Cette production d’émotions morales fonctionne comme l’incorporation d’un habitus selon Pierre Bourdieu, c’est-à-dire :

L’apprentissage (formel ou informel, formulé ou non formulé) qui forme, inculque des modèles de conduite, des modes de perception et de jugement, lors de la socialisation [afin de] produire des individus dotés de ce système de schémas inconscients (ou profondément enracinés) qui constitue leur culture. (Lecordier, 2012, p. 199)

Quel est le contenu de cet habitus pentecôtiste ? Originellement, étant donné que le pentecôtisme recrute parmi les marginaux, il inculque une éthique du rejet de la société civile et du repli spirituel et communautaire, ce que Lalive D’Epinay qualifie de « grève sociale » (Lalive d’Epinay, 1968). S’adressant à des populations exclues du pouvoir politique – femmes, classes populaires – le pentecôtisme de la première vague propose une échelle de valeurs concurrente à celle des classes dominantes : la marginalité sociale de ses fidèles n’apparait plus comme l’effet de leur position de dominés, mais comme la conséquence de leur libre choix du salut spirituel individuel sur la réussite sociale. Le salut individuel doit être recherché par un dévouement absolu à la communauté pentecôtiste et à Dieu, et par l’adoption de modèles de conduite ascétiques. Dans son travail sur le machisme au sein des communautés pentecôtistes colombiennes du département du Boyacá, Elizabeth Brusco a décrit les effets sociaux de l’adoption par les convertis de nouvelles normes morales de conduite (Brusco, 1993). Pour les hommes, la morale pentecôtiste promeut une forme de masculinité qui diverge des stéréotypes machistes dominants en tant qu’elle exhorte les fidèles à arrêter l’alcool, les rixes, l’adultère, la violence intrafamiliale. Le pentecôtisme, par sa valorisation de la famille, conduit donc à transformer les habitudes masculines et notamment à diminuer leurs dépenses en dehors du foyer, ce qui provoque une amélioration du niveau de vie des familles pentecôtistes, et par conséquent une attractivité de la conversion. Du côté des femmes, la morale pentecôtiste n’interdit pas l’usage de méthodes de contraception, considérant qu’il vaut mieux avoir moins d’enfants pour pouvoir leur fournir une meilleure éducation, ce qui est là aussi un facteur d’ascension sociale. Par ailleurs, comme on l’a vu pour ses origines étatsuniennes, le pentecôtisme colombien permet lui aussi une forte participation des femmes au culte et même leur accès à des responsabilités communautaires, facilitant ainsi leur émancipation par rapport à leur rôle d’épouse.

Ces normes morales commencent à évoluer à partir des années 1970, lors que la revalorisation des émotions par la « troisième nature » crée une grande attractivité du christianisme charismatique, amenant de nouvelles classes sociales à se convertir au pentecôtisme. De nos jours, plus d’un chrétien sur quatre est pentecôtiste à l’échelle mondiale. En Amérique latine les chrétiens évangéliques, tous courants confondus, représentaient en 1970 4 % de la population, aujourd’hui plus de 20 % dont trois quarts de pentecôtistes (Bell et Sahgal, 2014). Ce sont les classes moyennes qui se tournent massivement vers le pentecôtisme lorsque le continent latino-américain entre dans la mondialisation. Les élites abandonnent l’échelle nationale pour celle transnationale, privatisant les entreprises publiques et intégrant les économies nationales dans les échanges globalisés. L’Église catholique qui s’est construite en regard avec l’État moderne est dépendante comme lui de son assise territoriale, si l’Église est une organisation internationale elle n’est pas mondialisée, sa structure pyramidale est calquée sur celle des États-Nations. La globalisation des élites latino-américaines conduit donc, pour la première fois depuis la colonisation, à une divergence d’intérêts entre les classes dominantes et l’institution catholique. Une partie des classes moyennes et supérieures se détournent donc de l’Église catholique pour les organisations concurrentes sur le marché du religieux latino-américain (Garcia-Ruiz et Michel, 2012, pp. 148-149). Parmi ces organisations concurrentes le pentecôtisme bénéficie en outre de la revalorisation des émotions, c’est donc vers les Églises pentecôtistes que se tournent majoritairement les transfuges du catholicisme. Cette évolution du public pentecôtiste transforme le contenu de l’habitus pentecôtiste, la « grève sociale » n’ayant plus lieu d’être si les fidèles ne sont plus des marginaux.

Habitus pentecôtiste et moralisation de la politique

La conversion d’une partie des classes moyennes et supérieures latino-américaines au pentecôtisme a pour conséquence de modifier son rapport au politique, ces nouvelles populations habituées à prendre part aux décisions politiques offrent ainsi de nouvelles possibilités d’expansion au mouvement. En 1983 la Fraternidad Teológica Latinoamericana, qui regroupe des représentants de tous les courants du christianisme évangélique du continent et donc notamment pentecôtistes, se rassemble à Jarabacoa en République Dominicaine pour appeler tous les chrétiens évangéliques à s’engager en politique :

El ser humano fue creado como mayordomo de la tierra, con la responsabilidad de cultivarla y utilizar sus recursos para la Gloria de Dios y para su propio bien. El orden político ha sido provisto por Dios como un medio de ordenamiento de la vida en sociedad, de tal modo que cada miembro de esta se realice plenamente en relación con Dios, con la creación, con sus semejantes y consigo mismo. (Fraternidad Teológica Latinoamericana, 1983)

C’est à la même période que les premiers partis politiques pentecôtistes voient le jour dans différents pays latino-américains, les leaders religieux des grandes Églises pentecôtistes espérant convertir leurs ouailles en une armée d’électeurs disciplinés. Cependant, malgré des succès ponctuels, le raz-de-marée électoral tarde à venir ; ce n’est qu’en 2016 que l’électorat pentecôtiste se révèle comme force politique de premier plan avec la victoire du « Non » au référendum sur l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC. Alors que tous les sondages prévoyaient une large victoire du « Oui », l’engagement unanime des pentecôtistes colombiens en faveur du « Non » fait basculer le scrutin. Jusquelà l’identité religieuse pentecôtiste n’était pas vécue comme une identité politique par la majorité des fidèles, les affiliations partisanes de la politique traditionnelle continuaient de primer au moment du vote. Pourquoi l’identité politique pentecôtiste surgit-elle soudainement lors du référendum colombien d’octobre 2016 ? D’abord, parce qu’on assiste à une mobilisation inédite des acteurs institutionnels pentecôtistes : à la différence des élections précédentes, ce ne sont pas seulement les leaders médiatiques qui se sont prononcés, mais chaque pasteur du haut de sa chaire (Beltrán et Quiroga, 2018). Ils l’ont fait parce que le débat n’a pas été présenté par les partisans du « Non » en termes politiques traditionnels, mais comme une guerre spirituelle, ce qui en appelle aux émotions morales pentecôtistes et non pas aux convictions politiques. Comme on l’a vu avec Jasper, les émotions morales sont des sentiments d’approbation ou de rejet fondés sur l’intuition ou les principes moraux inculqués. L’habitus pentecôtiste incorpore chez le fidèle le devoir de participer à la lutte spirituelle contre les forces du Mal, en associant le camp du « Oui » à celles-ci, les acteurs institutionnels pentecôtistes suscitent chez les fidèles un sentiment de rejet. De façon générale, les émotions interviennent dans le choix électoral comme des signaux d’alarme cognitifs qui viennent souligner l’exceptionnalité d’une situation à laquelle les fidélités politiques habituelles ne permettent pas de répondre de façon adéquate (Marcus et Mackuen, 1993). Lorsque les individus manquent d’éléments ou de temps pour analyser la nouvelle situation, ils se fient à leurs réponses émotionnelles immédiates – les émotions réfléchies de Jasper – comme meilleures sources d’informations à disposition pour orienter leur vote (Brussino et al., 2015). C’est ce qui se passe lors du référendum sur l’accord de paix avec les FARC : tout commence avec une polémique suscitée en août 2016 par l’élue régionale pentecôtiste Ángela Hernández, qui dénonce un passage d’un nouveau manuel scolaire qui met en garde les élèves contre les discriminations sexuelles et de genre, qu’elle voit comme le projet de diffuser la soi-disant « idéologie du genre » dans les écoles (Beltrán et Quiroga, 2018, p. 425). La polémique prend une ampleur inattendue et suscite un vaste mouvement de protestation qui conduit au retrait du manuel en question, ce qui amène les partisans de la campagne pour le « Non » au référendum – notamment l’ancien président Alvaro Uribe – à prendre conscience du pouvoir de mobilisation que représente le rejet de l’« idéologie du genre » dans la population. Aux lendemains de la mobilisation, ils mettent en place une vaste campagne de dénonciation de l’accord de paix dans les médias et sur les réseaux sociaux, sous prétexte que l’accord reconnaît que les femmes et la communauté LGBTI ont été particulièrement touchées par les violences du conflit armé et que leurs droits doivent être protégés. Les leaders politiques pentecôtistes s’associent à la campagne du « Non » et présentent le référendum comme une guerre spirituelle. Suite à son enquête de terrain menée dans les megaiglesias pentecôtistes pendant la campagne du référendum, Beltrán rapporte le discours des pasteurs :

A person is homosexual, or LGBTI, because they have voluntarily “decided to go against God” and “the natural order that He established for the family”. For that reason, being homosexual “is a sin”. The natural order for sexuality and the family is described in the Bible, which sets out that marriage “should be exclusively between a man and a woman”. […] A homosexual may find it difficult to abandon their sexual practices because they are “under the influence of demons”. In these cases, as well, “God can free them from the demon that possesses them”. For this reason, homosexuals are understood by some pastors to have an illness which “God can cure”. Whether it is the product of sin or as a victim of demonic possession, an LGBTI person is “unclean”, as termed in the Old Testament. This means that they can “contaminate or infect” others with “their illness”. To the extent that they believe that God can “free the homosexual” they do not believe it possible that a “true believer”, a “born again Christian”, could engage in homosexual practices or belong to the LGBTI community. (Beltrán y Creely, 2018, p. 10)

La campagne en faveur du « Non » au référendum mobilise les émotions morales du fidèle, il ne s’agit plus dès lors de voter selon ses convictions politiques ou son affiliation partisane, mais de suivre son habitus pentecôtiste. Devant une décision électorale extrêmement complexe, celle des modalités de résolution d’une guerre civile qui dure depuis plus de cinquante ans, l’électeur qui n’est pas spécialiste du conflit se fie à ses réponses émotionnelles immédiates pour trancher. Pour les fidèles pentecôtistes, cette réponse émotionnelle immédiate est négative étant donné leurs normes morales incorporées, aussi votent-ils massivement contre le traité de paix.

Ce qui mérite d’être souligné, c’est que cette mobilisation morale prend pour prétexte l’« idéologie du genre », mais intervient dans un débat politique qui n’a de prime abord rien à voir avec la question des droits LGBTI ou ceux des femmes. Ce ne sont pas les sujets traditionnellement polémiques pour le christianisme conservateur, comme l’avortement ou le mariage gay, qui suscitent cette levée de boucliers. L’argument moral devient crucial dans un débat de politique traditionnelle, la paix ou la guerre. Forts de cette victoire, les différents partis pentecôtistes rem-portent onze sièges aux élections législatives colombiennes de 2018, nombre jamais atteint jusqu’alors. Une étude statistique des prises de position sur Twitter de ces élus pentecôtistes pendant leur campagne législative montre que 62 % de leurs tweets font appel à des arguments moraux. Mis bout à bout, les tweets se référant à l’« idéologie du genre » ou à la famille chrétienne ne représentent pourtant que 35 % d’entre eux, par conséquent une bonne partie des tweets consacrés à d’autres thématiques adoptent eux aussi une perspective morale (Velasco, 2018). Au-delà de la question familiale, c’est donc véritablement une nouvelle façon de faire de la politique, à partir de l’émotion morale.

L’identité religieuse pentecôtiste est, depuis ses origines, indissociable de la valorisation et de la production d’émotions morales. La glossolalie et son interprétation, loin d’être une pratique de transe et d’oubli de soi, permet en réalité d’élaborer des normes morales et une échelle de valeurs concurrentes à celles de la culture rationnelle dominante. Lorsque l’évolution du processus d’individuation revalorise les émotions, les normes morales pentecôtistes cessent d’être marginales, ce qui entraîne une augmentation exponentielle du nombre des conversions au pentecôtisme. Cette explosion numérique pentecôtiste en fait potentiellement une force politique pour peu que les fidèles des différentes dénominations s’unissent autour d’une identité politique pentecôtistes commune. Depuis 2016, on peut observer cette identité en train de se constituer. Elle ne s’élabore pas autour des concepts politiques traditionnels nés de la culture de la « seconde nature » qu’a toujours rejetée le pentecôtisme, mais par la mobilisation des émotions morales à des fins électorales.

Lancelot Claret-Trentelivres

Doctorando en el laboratorio “Grupo Sociedades, Religiones, Laicidades” (GSRL) de la Ecole Pratique des Hautes Etudes – PSL (EPHE – PSL), estudió la guerra espiritual pentecostal y su papel en la constitución de una identidad política pentecostal en la Colombia actual.

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Claret-Trentelivres, L. (2021). La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas. Ciencia Política, 16(31), 181–200. https://doi.org/10.15446/cp.v16n31.97630

ACM

[1]
Claret-Trentelivres, L. 2021. La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas. Ciencia Política. 16, 31 (ene. 2021), 181–200. DOI:https://doi.org/10.15446/cp.v16n31.97630.

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(1)
Claret-Trentelivres, L. La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas. Cienc. politi. 2021, 16, 181-200.

ABNT

CLARET-TRENTELIVRES, L. La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas. Ciencia Política, [S. l.], v. 16, n. 31, p. 181–200, 2021. DOI: 10.15446/cp.v16n31.97630. Disponível em: https://revistas.unal.edu.co/index.php/cienciapol/article/view/97630. Acesso em: 27 ene. 2025.

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Claret-Trentelivres, Lancelot. 2021. «La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas». Ciencia Política 16 (31):181-200. https://doi.org/10.15446/cp.v16n31.97630.

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Claret-Trentelivres, L. (2021) «La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas», Ciencia Política, 16(31), pp. 181–200. doi: 10.15446/cp.v16n31.97630.

IEEE

[1]
L. Claret-Trentelivres, «La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas», Cienc. politi., vol. 16, n.º 31, pp. 181–200, ene. 2021.

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Claret-Trentelivres, L. «La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas». Ciencia Política, vol. 16, n.º 31, enero de 2021, pp. 181-00, doi:10.15446/cp.v16n31.97630.

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Claret-Trentelivres, Lancelot. «La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas». Ciencia Política 16, no. 31 (enero 1, 2021): 181–200. Accedido enero 27, 2025. https://revistas.unal.edu.co/index.php/cienciapol/article/view/97630.

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1.
Claret-Trentelivres L. La producción de emociones morales en el pentecostalismo y sus consecuencias políticas. Cienc. politi. [Internet]. 1 de enero de 2021 [citado 27 de enero de 2025];16(31):181-200. Disponible en: https://revistas.unal.edu.co/index.php/cienciapol/article/view/97630

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